Le sauveur d’Israël est trahi par sa femme philistine.
Une légende qui décoiffe. La chronique de Jesús Asurmendi

Le récit concernant Samson et Dalila se trouve dans le Livre des Juges. Cet ouvrage contient une série de récits touchant des personnages qui ont « sauvé » Israël. Il est certain qu’au début de leur entrée en Canaan les israélites se sont vu disputer la possession du pays, habité par les Cananéens, par d’autres récemment arrivés sur place, les Philistins. Ce sont plutôt des guerriers qui ont déferlé dans l’est méditerranéen en provenance de l’ouest. Ils ont donné le nom à Canan, la Palestine, dont on connaît aujourd’hui encore la contrée. Une pentapole de cité-états a été créée ou occupée par eux : Gaza, Ashdod, Askhelon, Eqron et Gat. David soumettra temporairement ces villes, après avoir travaillé comme mercenaire pour eux. Mais après la disparition du nouveau roi des israélites, les villes retrouveront leur indépendance. En fait, au lieu du livre des Juges,  il faudrait parler du livre des sauveurs d’Israël. Le schéma est à peu près toujours le même :

« Les fils d’Israël recommencèrent à faire ce qui est mal aux yeux du Seigneur.
Ils rendirent un culte aux Baals et aux Astartés, aux dieux d’Aram, de Sidon, de Moab,
aux dieux des fils d’Ammone et aux dieux des Philistins. Ils abandonnèrent le Seigneur et ne le servirent plus.
La colère du Seigneur s’enflamma… ».

Israël se convertit et demande de l’aide au Seigneur.

« Les fils d’Israël servirent Églone, roi de Moab, pendant dix-huit ans.
Ils crièrent vers le Seigneur, et le Seigneur suscita pour eux un sauveur :
Éhoud, fils de Guéra, Benjaminite ». (Juges 3, 14)

Le cas de Samson est similaire, sauf qu’il « bénéficie » d’un récit d’annonce de naissance (Jg 13) qui suppose déjà, pour le livre, un statut « à part ». Le récit concernant Gédéon contient aussi sa part de merveilleux et d’interventions surnaturelles, mettant ainsi en relief la qualité extraordinaire du personnage et de l’aide manifeste de la divinité lors de ses exploits. Par ailleurs, une série de contes populaires (la mort d’un lion, l’incendie des cultures des Philistins, la destruction du temple du dieu Dagon) attribue à Samson une série de gestes, faisant de lui un personnage haut en couleurs où l’épique se mêle au merveilleux. Ce qui est particulier dans le cas de Samson, c’est le lien établi entre son « statut de nazir » (13,7) et sa force incomparable signifiée dans ses longs cheveux. Ainsi son naziréat devient une sorte de fonction, voire de vocation (imposée), au bénéfice de la communauté tout entière. Dans les contes qui lui sont attribués, la destruction du temple de Dagon est en lien direct avec sa mission de « sauveur d’Israël ». De même dans l’épisode des renards utilisés pour incendier les moissons des Philistins. Celui du lion (Jd 14,5-7) est prétexte à l’essaim d’abeilles et du miel, et à l’énigme qu’il va en tirer. C’est que Samson est très fort mais très naïf, et il va être victime de la ruse de Dalila, femme philistine dont il est tombé amoureux et qu’il va épouser. La philistine est fort impressionnée par la force de son mari, ainsi que par les désastres qu’il occasionne à ses concitoyens et les philistins sont encore plus, victimes de Samson. Elle n’aura de cesse de harceler son homme jusqu’à ce qu’elle arrache le secret de sa force. Ce qui va perdre Samson face aux philistins. Le côté extraordinaire, voire extravagant, des exploits de Samson fait qu’il a un grand succès auprès des lecteurs de tous les temps, voire dans l’art.

Le Caravage, Dalila coupe les cheveux de Samson, XVIIe siècle

La difficulté, pour les lecteurs actuels des récits concernant Samson, c’est que ses exploits et sa force, ses gestes extraordinaires, occultent la finalité et le but de toute la mise en scène : le salut pour Israël. À cela sont ordonnées toutes les prouesses de Samson. La dimension merveilleuse et le caractère extraordinaire expliquent l’utilisation fréquente de ces récits en catéchèse. Mais il y a lieu de ne pas confondre le but et les moyens, de ne pas s’arrêter aux exploits de Samson, au côté stupéfiant et étonnant des gestes du héros. Les récits d’annonces et/ou de naissances merveilleuses n’ont pas comme but de désigner ou de décrire des phénomènes gynécologiques de quelque nature qu’ils soient. Que ce soit dans le cas de Sara, d’Élisabeth, de Marie ou de Samson, il ne s’agit pas de performances féminines extraordinaires mais tout simplement de signaler ainsi la présence particulière et évidente de Dieu dans le personnage en question : Isaac, Jean, Samson ou Jésus.

Gerard van Honthorst, Samson et Dalila, 1615, musée d’art de Cleveland

Comment se créent les légendes ? À partir d’un personnage qui est hors du commun, on lui colle d’autres gestes extraordinaires, en fonction de ce principe qu’ « on ne prête qu’aux riches » et ainsi se crée la légende qui contient un point de départ historique et beaucoup d’affabulation.

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Jesús Asurmendi

Bibliste. Professeur honoraire à l'Institut Catholique de Paris.
Parmi ses publications, « Du non-sens — L'Ecclésiaste », Éditions du Cerf, Paris, 2012 ; « Job », Éditions de l'Atelier, Paris, 1999.

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