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Tobit, Tobias et l’invention de Jérôme

Ce récit est une fiction, avec des personnages merveilleux et de nombreux rebondissements. Voici donc le vieux Tobit devenu aveugle, son fils Tobias, et Sara, condamnée à rester veuve, car tous ses maris meurent mystérieusement la nuit de noces… Et puis l’ange Raphaël, le guide… Mais que vient faire saint Jérôme dans cette histoire ? Les lectures bibliques de Jesús Asurmendi

Il est difficile de parler de l’un sans parler de l’autre. Les deux sont les protagonistes du livre de Tobit. Celui-ci est présenté comme un homme juste, vivant à Ninive, suite à la déportation, conséquence de la conquête assyrienne du VIIIe siècle. Le cadre est historiquement vrai et adéquat. Mais le récit est une fiction narrative avec un but religieux très précis : dire et souligner que malgré les adversités de la vie, Dieu veille sur ses fidèles, sur Israël. Tobit consacre sa vie à enterrer ses compatriotes exilés morts. Œuvre de miséricorde particulièrement importante en exil. Un jour, pendant la pause, un volatile a laissé tomber ses excréments qui ont atterri sur les yeux de Tobit, lequel, du coup, est devenu aveugle. 

Francisco de Goya y Lucientes, Tobias et l’ange, 1787,
Musée du Prado, Madrid

Il ne faut pas oublier un autre protagoniste : Sara, future épouse du fils de Tobit, appelé Tobias. La pauvre fille est désolée, proche du suicide, car elle a eu sept maris et, au moment crucial de la nuit de noces, les sept sont morts l’un après l’autre. Face à leurs malheurs, au lieu de tomber dans le désespoir, les deux prient. C’est là que leur parcours, leur destin se rejoignent. Au moment où leur prière est entendue par Dieu.

« À cet instant précis, la prière de l’un et de l’autre fut portée en présence de la gloire de Dieu où elle fut entendue »
(3, 16).

Il y a une simultanéité de l’écoute par Dieu des deux prières. Un même personnage va être chargé par Dieu de résoudre les deux problèmes. Un ange qui s’appelle Rafaël, « Dieu guérit » :  un nom  adapté aux circonstances. Et l’ange, du point de vue narratif, permet d’établir le lien entre ces deux épisodes bien différents. Fort opportunément Tobit se souvient d’un dépôt d’argent qu’il a confié à un parent éloigné (4, 1-2). Et il envoie son fils Tobias le récupérer. 

Le voyage étant long et le jeune inexpérimenté, le père lui recommande de trouver un guide. Chose faite, car dès qu’il sort dans la rue il trouve l’homme qu’il faut, lequel offre ses services. Au cours du voyage, lors d’un épisode digne d’un conte, Tobias récupère le fiel, le cœur et le foie d’un poisson sur la recommandation du guide de voyage qui n’est autre que l’ange Raphaël, comme le lecteur l’a appris entre-temps. Ils continuent et à l’approche d’Ecbatane, l’ange devient entremetteur et insiste pour que Tobias épouse Sara, fille de Ragouël, parent du jeune Tobias. Mais celui-ci renonce à cette belle perspective car il connaît l’histoire de Sara et de ses sept maris, morts la nuit des noces. Il n’est pas question pour lui d’être le huitième. Raphaël le rassure, lui disant que Sara lui a été destinée depuis la création du monde. On voit là un trait apocalyptique, car à cette époque, avant le II siècle, ce type de théologie et de littérature devient très commun. 

Raphaël, La Vierge avec l’Enfant, l’ange Raphaël, Tobias et saint Jérôme,
1513-14, Musée du Prado, Madrid

Les remèdes commencent à fonctionner avec Sara, car brûlant le cœur et le foie du poisson, le démon Asmodée, responsable des adversités de Sara s’enfuit, libérant la jeune femme de son malheur et du même coup Tobias (8, 1-3). Tout est bien qui finit bien. La nuit de noces se passe très bien après une longue prière des jeunes époux. À ce propos il a une anecdote fort intéressante. Saint Jérôme a traduit l’ensemble de la Bible en latin, la célèbre Vulgate. Mais le saint traducteur était un obsédé sexuel, voyant le danger et le péché du sexe partout. Alors dans sa traduction a commis une faute grave : il a ajouté deux ou trois lignes de son cru qui ne se trouvent dans aucun manuscrit araméen, hébreu ou grec. Ceci a été largement confirmé par les découvertes de Qumran, qui ne portent aucune trace du rajout de Jérôme. Lequel complément consiste tout simplement en ceci : les trois premières nuits, les jeunes époux les ont passés à prier et ils ne se sont pas « touchés ! » Merveilleux !? Cette invention de Jérôme a donné lieu à une coutume qui consistait à faire comme les jeunes époux de Jérôme. Il y a encore certains groupes « traditionalistes » qui la pratiquent. Toujours pareil : l’horreur du sexe et du corps !!

Rembrandt, Anna et Tobit aveugle,
vers 1630, National Gallery, Londres

De retour à la maison, l’argent récupéré et l’épouse toute fraîche incorporée à la caravane, c’est le tour de Tobit d’être guéri avec le fiel du célèbre poisson (11, 11). Il ne reste que le dévoilement de l’ange Raphaël (12, 11-13), à remercier et louer Dieu par un beau cantique (13) et le récit de la mort de Tobit et de son épouse. Quant aux jeunes époux, ils partent habiter chez le père de Sara. Ils s’occupent des beaux-parents, les enterrent et meurent à leur tour comblés de jours.

Voici le beau récit de ce qui arrive aux fidèles du Seigneur et comment celui-ci s’occupe de ceux qui le servent. Pas toujours.

asurmendi.jesus
Jesús Asurmendi

Bibliste. Professeur honoraire à l'Institut Catholique de Paris.
Parmi ses publications, « Du non-sens — L'Ecclésiaste », Éditions du Cerf, Paris, 2012 ; « Job », Éditions de l'Atelier, Paris, 1999.

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