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Judith, la séduction et le salut

Elle est une des héroïnes les plus connues de la Bible. Mais que nous dit son histoire ? La série biblique de Jesús Asurmendi

Il s’agit d’un récit fictif, d’une fiction qui n’a rien à voir avec l’histoire. Quoique… Le fond de la trame s’insère dans un schéma historique plausible et maintes fois expérimenté par Israël. Voici la thématique de l’ouvrage : le peuple est toujours persécuté par ses ennemis, mais son Dieu le protège et le sauve. C’est aussi le scénario, l’intrigue du livre d’Esther. Avec une composante dramatique commune et une femme comme protagoniste, bien que le déroulement soit très différent. Il s’agit donc d’une thèse théologique, exposée sous forme de récit, comme souvent dans la Bible. Certains rabbis ont mis le livre de Judith en lien avec la fête de la Hanoukka. Mais l’origine et le sens de cette fête sont clairement signalés et expliqués en 1 Mac 4, 56-59 et n’ont rien à voir avec le livre de Judith ((Ils célébrèrent la dédicace de l’autel pendant huit jours et ils offrirent des holocaustes avec une grande joie, ainsi que des sacrifices de communion)). 

Carlo Saraceni, Judith avec la tête d’Holopherne,
Kunsthistorisches Museum, Vienne, 1610-15

Une fois de plus, les moyens choisis par Dieu pour sauver son peuple ne sont pas ceux que l’on attendait. Dans le cas précis, comme souvent, une femme. Si l’on ne peut pas dire que la Bible soit un chant au féminisme (le poids social du contexte y est pour quelque chose), il y a bon nombre de textes où l’action de Dieu, qui sauve son peuple, a une femme comme instrument. Il suffit de penser à Débora, Yaël, Esther, Rahab, Tamar. 

Il faut attendre le chapitre 8 du petit livre pour voir Judith entrer en scène. Tout ce qui précède sert à profiler le danger qui menace Israël symbolisé par la ville de Béthulie. Nabuchodonosor, roi de Babylone, emblème du tyran et ennemi par excellence d’Israël (c’est lui le responsable des déportations et de l’exil à Babylone), charge son général en chef, Holopherne, des différentes campagnes militaires. C’est ainsi que le scénario est bâti. La ville de Béthulie est assiégée et la panique générale. Dans cette situation d’affolement collectif se lève Judith, jeune veuve fort jolie, semble-t-il. Elle change son accoutrement de deuil en celui d’une veuve affriolante et joyeuse. Après s’être aspergée de parfum, ceint les cheveux d’un bandeau et mis une robe de lin (Jdt 16, 7-8), elle va chez Holopherne, le chef de l’armée qui assiège Bethulie. Et le séduit, gagnant sa confiance. Le texte n’arrête pas d’insister sur sa beauté… Holopherne offre un banquet, pendant lequel il boit « énormément de vin, plus qu’il n’en avait jamais bu en un seul jour depuis qu’il était né » (12, 20). Profitant de l’ivresse et de la somnolence générale, Judith et sa servante coupent la tête de l’ennemi et, tranquillement, rentrent à Béthulie avec leur précieux trésor. Comme dans le récit de la naissance de Moïse (Exode 2), cela contraste avec la force brute du pouvoir détenu habituellement par les hommes et la fragilité supposée de la femme. Le livre exhale en permanence un parfum ironique. Et si l’ironie est un ressort littéraire puissant dans toutes les littératures, dans la Bible il n’en va pas autrement. 

Palma il Giovane (1554-1611), Judith et Holopherne, gravure, Rijksmuseum, Amsterdam
Simon Vouet (?), Judith avec la tête d’Holopherne, Kunsthistorisches Museum, Vienne, 1620-22 env.
Véronèse, Judith et Holopherne, Kunsthistorisches Museum,
Vienne, 1580 env.
Lucas Cranach l’Ancien, Judith avec la tête d’Holopherne, Kunsthistorisches Museum, Vienne, 1537

Pas très adapté en tant que « manuel » pour l’éducation des jeunes filles, le Livre de Judith n’est pas non plus l’illustration du principe selon lequel « la fin justifie les moyens ». C’est, rappelons-le, un récit fictif destiné à montrer que le Dieu d’Israël protège son peuple en toute circonstance. 

Une tentation permanente est de faire de la Bible un livre de recettes morales hors du temps et de l’espace. Mais elle ne l’est pas. Cependant elle doit inciter et aider le croyant à trouver, dans son temps, une réponse de foi cohérente et digne. Il ne s’agit pas d’appliquer une recette, voire d’avoir la réponse d’avance à tout.

Caravage, Judith coupant la tête d’Holopherne, Palais Barberini, Rome, 1599 env.

Après sa geste, Judith peut devenir l’héroïne du peuple tout entier. Mais elle refuse, en attribuant le mérite et la gloire de la délivrance au Dieu d’Israël : « Le Seigneur souverain de l’univers les a confondus par la main d’une femme » (16, 5). Elle n’est que l’instrument de Dieu pour séduire et tuer l’ennemi : « Sa sandale ravit son regard, sa beauté captiva son âme et le sabre lui trancha la gorge » (16, 9). Tout est dit. Du Caravage à Artemisia Gentileschi, de Lucas Cranach au Véronèse, les aventures de Judith ont beaucoup inspiré les peintres. Et les musiciens : Vivaldi et le jeune Mozart, entre autres, lui ont consacré un oratorio. Il y a de quoi. En effet, elles sont très parlantes et plastiques. Avec les deux éléments classiques : sexe et sang.

asurmendi.jesus
Jesús Asurmendi

Bibliste. Professeur honoraire à l'Institut Catholique de Paris.
Parmi ses publications, « Du non-sens — L'Ecclésiaste », Éditions du Cerf, Paris, 2012 ; « Job », Éditions de l'Atelier, Paris, 1999.

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