La ruse et la tromperie : rien n’arrête cette veuve qui se déguise en prostituée pour assurer une descendance à Juda. La série biblique de Jesús Asurmendi
Il est vrai que les commentateurs ne savent pas très bien comment intégrer ce chapitre 38 dans la trame générale du livre de la Genèse (à lire ici). Mais il est là. Certes, personne n’est responsable de sa généalogie. Ni des conventions de son temps. Ainsi, a priori, on n’aurait pas imaginé Tamar dans la généalogie de Jésus, et pourtant… Matthieu (1, 3) l’inclut. Son histoire est curieuse, faute d’être exemplaire. La loi du lévirat, connue dans l’Ancien Orient, stipule que le frère d’un homme marié, mort sans descendance, assure la postérité en épousant la veuve. Ce qui arrive aux enfants de Juda. Le premier, marié à Tamar, meurt frappé par le Seigneur, ainsi que le deuxième, Onân, qui n’avait pas voulu procréer pour le compte de son frère. Onân a donné son nom à l’onanisme qui est compris habituellement comme masturbation, mais d’après le texte biblique il ne s’agit pas de cela : « Mais Onân savait que la descendance ne serait pas à lui. Aussi, quand il s’unissait à la femme de son frère, il laissait la semence se perdre à terre, pour ne pas donner de descendance à son frère. Ce qu’il faisait déplut au Seigneur qui le fit mourir, lui aussi » (Gn 38, 9-10). Devant une telle situation, Juda tarde à donner son troisième enfant, Shéla, à la veuve de ses deux fils morts. Tamar voit passer le temps et rien venir. Alors elle prend le taureau par les cornes, en une décision audacieuse. Elle se déguise en prostituée et couche avec son beau-père, Juda, dont elle devient enceinte. Quand l’affaire devient publique, scandale ! Juda demande que la loi soit appliquée et que sa belle-fille soit brulée vive. Mais au moment clé, celle-ci dévoile que le responsable de sa grossesse n’est autre que Juda. Et c’est ainsi que Tamar devient un chainon de la généalogie du Messie. C’est une illustration, oh combien pratique, de « la fin justifie les moyens ». Juda reconnaît les faits (les preuves de Tamar sont irréfutables) et la justesse du comportement de sa bru et dit : « Elle est plus juste que moi, car, de fait, je ne l’ai pas donnée à mon fils Shéla ». Et désormais il ne s’unit plus à elle (Gn 38, 26). La descendance promise par Dieu à Abraham (Gn 12) est bien une réalité. Mais que de détours et d’aventures.
Ainsi l’histoire de la succession au trône de David est un tissu d’agressions sexuelles, de meurtres et de viols. Pas très édifiant tout cela. On ne sait pas d’où est sorti le récit de Tamar. Ni quelle était l’intention de son intégration dans le récit de la vie des patriarches ni donc du livre de la Genèse. Mais la figure de Tamar a dû occuper et occupe une place non négligeable dans ce livre, oh combien complexe. Le comportement de Tamar semble répréhensible. Pourtant le récit ne paraît pas l’accabler. Il n’y a pas longtemps, la presse racontait qu’un juge avait déclaré innocent quelqu’un qui avait volé pour manger. Helder Camara, célèbre évêque brésilien, racontait aussi qu’il était applaudi et traité de saint quand il donnait à manger à quelqu’un qui avait faim. Au contraire, on le traitait de communiste quand il demandait pourquoi cette personne avait faim. Il n’y a pas longtemps, un détenu me racontait le motif de son emprisonnement. Ayant eu un accident avec son camion il a n’a pas pu payer tous les frais qui s’en sont suivis. Donc il a volé. Je lui ai dit que dans d’autres pays il n’aurait pas eu besoin de voler, car les assurances auraient couvert ses frais. Comme quoi le délit et le péché sont, souvent, à géométrie variable. Il est vrai que les chemins du Seigneur sont impénétrables.
On est souvent tenté de prendre des « exemples » dans la Bible, ou des phrases, isolées, pour en faire des références morales aujourd’hui, en les copiant. Par exemple pour justifier le refus du divorce : « Ce que Dieu a uni que l’homme ne le sépare pas » (Mt 19, 1-9). Il faut s’en méfier comme de la peste ; c’est ainsi que certains groupes ultra-orthodoxes juifs évoquent le couple Abraham et Sara, et ses déboires, pour justifier la GPA. La Bible n’est pas un livre de recettes morales, comme on en trouve des dizaines dans des livres de cuisine. Déjà les circonstances sont très différentes de celles qui ont présidé aux récits et lois bibliques. Ce qui veut dire qu’on ne peut pas « appliquer » mécaniquement les lois et les récits du peuple d’Israël aux situations actuelles. Sans exception. La Bible ne présente pas des « recettes » hors du temps et de l’espace. Ainsi les condamnations prophétiques, telle celle d’Amos 8, 4-8 qui dénonce l’avidité des marchands. On pourra trouver sans peine des situations similaires mais dans toute appropriation du texte biblique il faut :
- contextualiser le texte biblique
- le décontextualiser
- et ce noyau dur, résistant, le recontextualiser dans la situation actuelle.
L’histoire de Tamar ne fait pas exception. Le contexte a bien changé de celui où se situe Gn 38. La loi du lévirat, cela fait belle lurette qu’elle n’existe plus et son existence même, seuls quelques érudits la connaissent malgré la mention qu’en fait le Nouveau Testament.
Ah! Si chacun de nous était capable, de contextualiser de décontextualiser et de recontextualiser , en toute circonstance , dans le domaine biblique, historique, ou dans notre quotidienneté!!!!