Un devin soudoyé par les ennemis d’Israël, qui lui demandent de maudire « le peuple sorti d’Égypte ». Une ânesse plus récalcitrante et clairvoyante que son maître. Et qui se met à parler, en faisant reconnaître au devin son erreur. Ce récit du livre des Nombres a été parmi les plus populaires de la Bible, certainement par son sens du pittoresque et son humour. La série biblique de Jesús Asurmendi

L’ânesse est plus connue que son maître Balaam. Ce n’est pas étonnant, car on ne voit pas tous les jours une ânesse parler, même au cirque le plus performant. La Traduction œcuménique de la Bible, dans un des sous-titres du récit des Nombres 22-24, dit : « l’ânesse plus clairvoyante que le devin ». Mais Balaam était connu, voire très connu, en dehors d’Israël et de la Bible. En effet, nous avons une inscription, trouvée en 1967 à Deir `Alla, en Jordanie, dans un site célèbre, qui parle explicitement de Balaam : « Admonitions du livre de Balaam, fils de Beor, l’homme même qui voit les dieux. Les dieux vinrent vers lui la nuit…. »((Voir Prophéties et oracles dans le Proche Orient ancien. Cahiers Evangile, Supplément N°88. Paris 1994, p. 92-96)). L’identité du personnage ne laisse aucun doute, comme le montre Nb 24, 3 : « Oracle de Balaam, fils de Beor, l’homme au regard mystérieux ». Sa carte d’identité est assurée. Les devins et autres prophètes ne manquaient pas dans l’Ancien Orient ((Voir note précédente)). Mais trouver si clairement un personnage dans deux sources aussi différentes n’est pas fréquent. L’inscription de Deir `Alla, un exercice d’école probablement, montre le caractère populaire de cette tradition. 

Ce qui nous fait réaliser un autre élément important. Il n’y a pas de doute que la tradition biblique a ‘récupéré’ le personnage et l’a mis au service d’Israël. Il était ‘destiné’, en tant qu’étranger, à maudire Israël. Or le texte biblique le ‘récupère’ en changeant le rôle du devin : au lieu de maudire Israël, il le bénit. Seul Dieu peut changer ainsi le cours de l’histoire. Il fait partie dorénavant des instruments utilisés par le Dieu d’Israël au bénéfice de son peuple. La ‘récupération’ de Balaam ne doit pas surprendre, quand on sait qu’il n’y a pas une seule institution (monarchie, sacerdoce, temple, prophétisme) ni un seul rite (sacrifice) en Israël qui n’ait pas de parallèle en dehors de la Bible et que, presque avec certitude, Israël s’en est inspiré tout en lui donnant un contenu spécifique. Ce qui veut dire que dans la Bible, Israël, n’est pas un produit tombé du ciel mais l’aboutissement d’une rencontre séculaire avec les civilisations et coutumes environnantes qui n’ont pas cessé de l’influencer et de contribuer ainsi à façonner son identité.

La bénédiction et la malédiction étaient considérées dans l’antiquité d’une efficacité redoutable et presque automatique. Il suffisait de prononcer la formule adéquate dans des circonstances et conditions précises pour que cela marche, dans un sens comme dans l’autre. Et elles étaient irrévocables. Le meilleur exemple est celui de la bénédiction d’Isaac sur ses enfants Esaü et Jacob. Jacob vole la bénédiction destinée au fils ainé, Esaü. Même si la bénédiction est ‘volée’, comme dans le cas présent, elle est ‘valide’ et opérative (Genèse 27-28). Avec toutes les nuances qui s’imposent, il est clair que, derrière tout cela, il y a une mentalité magique. Dans certaines mentalités et dans quelques parties du monde elle subsiste encore.

Mais ce n’est pas le seul texte biblique qui parle de Balaam. Et pas toujours avec une idée aussi bienveillante. Ainsi en Nb 31, 8 .16 ; Dt 23, 5 ; Jos 13, 22 ; 24, 9 ; Mi 6, 5 et dans le Nouveau Testament 2 P 2, 15-16 ; Ap. 2, 14. Il est devenu le prototype du méchant personnage qui a voulu faire du mal à Israël, sur commande certes, mais le fait est là. 

Balaam est présenté comme quelqu’un que l’on peut engager moyennant de l’argent. Il est vrai que les prophètes et autres devins de l’antiquité gagnaient leur vie en exerçant ce métier (Cf Am 7, 10-17 ; voir le cas de Saül à la recherche des ânesses Sm 9, 8-10). Les gens allaient consulter Dieu et payaient l’intermédiaire, c.-à-d. le devin ou le prophète Ez 8, 1 ; 14, 1-3 ; 20, 1-4. Mais ceux que la Bible a retenus comme de véritables envoyés par Dieu, comme d’authentiques prophètes ne sont pas des prophètes de métier, même s’ils ont pu commencer comme cela. Ce n’est pas pour cette raison qu’ils ont été reconnus par la communauté, donc par la Bible, comme de vrais porte-parole du Dieu d’Israël. Il est vrai, comme dit Michée 3, 5-8 que les prophètes de métier avaient comme prédisposition, comme tendance, d’aller dans le sens du poil du client. Les autres, les ‘vrais’ prophètes parlaient sans qu’on le leur demande, et de plus sans qu’on les paie, donc du point de vue social ils étaient plus libres. Dans cette liberté, que supposait l’esprit critique dont ils ont fait preuve, Israël a vu une des caractéristiques du vrai prophète.

L’épisode concernant Balaam est tout à fait secondaire par rapport à la trame principale du livre des Nombres. Mais il est devenu non pas central mais important dans l’imaginaire de la trame de l’histoire d’Israël. Comme quoi un personnage accessoire peut quitter son rôle second et par ses particularités, acquérir une personnalité nettement plus grande que celle que les récits d’origine lui attribuaient. 

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Jesús Asurmendi

Bibliste. Professeur honoraire à l'Institut Catholique de Paris.
Parmi ses publications, « Du non-sens — L'Ecclésiaste », Éditions du Cerf, Paris, 2012 ; « Job », Éditions de l'Atelier, Paris, 1999.

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