« Le profil de Loth n’est pas parmi les plus attrayants de la Bible. Mari d’une femme minée par la curiosité et transformée en statue de sel, père de deux filles qu’il est prêt à échanger pour sauver la loi de l’hospitalité, père et grand-père à la fois de deux enfants (et deux peuples), redoutables ennemis d’Israël. On peut faire mieux avec beaucoup moins ». La chronique biblique de Jesús Asurmendi

Loth n’a pas une personnalité forte ni attirante. Il entre dans le récit biblique de la main d’Abraham qui est présenté comme son oncle. Plus exactement, Loth est présenté comme le neveu d’Abraham (Genèse 11, 31 ; 12, 4). Ensuite il est le bénéficiaire de la générosité d’Abraham qui lui cède la partie la plus riche et prospère du pays. Abram dit à Loth :

« Surtout, qu’il n’y ait pas de querelle entre toi et moi, entre tes bergers et les miens, car nous sommes frères ! N’as-tu pas tout le pays devant toi ? Sépare-toi donc de moi. Si tu vas à gauche, j’irai à droite, et si tu vas à droite, j’irai à gauche… Loth choisit pour lui toute la région du Jourdain et il partit vers l’est. C’est ainsi qu’ils se séparèrent. Abram habita dans le pays de Canaan, et Loth habita dans les villes de la région du Jourdain ; il poussa ses campements jusqu’à Sodome. Les gens de Sodome se conduisaient mal, et ils péchaient gravement contre le Seigneur ».

(Genèse 13, 8-13)
Anonyme flamand, Loth et ses filles,
vers 1525-1530, Musée du Louvre, Paris

Vient ensuite un texte bizarre, dont les commentateurs ne savent pas bien quoi faire, Genèse 14. Cette guerre qu’Abraham aurait livrée contre une ligue de rois de la région et qui a comme conséquence la libération de Loth, fait précédemment prisonnier par cette ligue . L’épisode le plus célèbre, malgré tout, lié à Loth, est celui qui met en scène la destruction de Sodome et Gomorrhe, Genèse 19. Il est préparé par l’intercession d’Abraham en Genèse 18, en faveur des justes éventuels de ces villes. Les justes auraient dû sauver la vie de tout le monde, coupables inclus, bien entendu. Ne se trouvant pas le nombre minimum requis, la destruction des villes devient inéluctable mais Loth et les siens, justes, sont sauvés. Les seuls de l’ensemble des deux villes. C’est devenu une sorte de paradigme du châtiment divin, comme on le voit dans quelques textes du Nouveau Testament (Lc 17, 29)

La femme de Loth était juste, mais idiote. L’un n’empêche pas l’autre. Comme on peut être saint et fou. Malgré tout, elle est devenue une sorte d’exemple à ne pas imiter, évidemment (Lc 17, 32). D’ailleurs, il faut être un peu fou, au moins, pour être saint. La femme de Loth est donc transformée en statue de sel pour avoir regardé les villes bruler, contrairement à l’ordre de Dieu. Les blocs de sel avec des formes variées ne sont pas rares au sud de la mer Morte, lieu présumé des villes détruites. 

Camille Corot, Loth et ses filles fuyant Sodome incendiée (à droite, la femme transformée en statue de sel), 1843-1857,
Metropolitan Museum, New York

Les filles de Loth entrent alors en scène. Elles avaient fait une incursion fugace comme monnaie d’échange dans la discussion de Loth avec les habitants de Sodome. Loth voulait être fidèle à la loi sacrée de l’hospitalité contre la volonté des Sodomites de violer les voyageurs. Pour cela il « offre » en échange ses deux filles. Ce qui n’aurait pas plu aux militants de Me Too, à juste titre. Autres temps, autres mœurs (Voir Juges 20).

Le Guerchin, Loth et ses filles, 1651, Musée du Louvre, Paris

Mais Loth est célèbre justement à cause de ses filles. La descendance était une question obsessionnelle dans les temps anciens. Les filles de Loth ne font pas exception et, ne voyant pas de mâle à l’horizon, prennent des mesures, pour le coup, exceptionnelles. Elles saoulent leur père deux nuits et, à tour de rôle, elles ont des rapports sexuels avec lui. Le consentement n’étant pas requis dans ces cas exceptionnels, la chose est plus simple : « Elles firent boire du vin à leur père cette nuit-là, et l’aînée alla coucher avec son père qui ne s’aperçut de rien, ni de son coucher, ni de son lever » (19, 33). « Cette nuit encore, elles firent boire du vin à leur père. La cadette se leva et alla coucher avec lui ; il ne s’aperçut de rien, ni de son coucher ni de son lever » (19, 35). Ainsi elles deviennent enceintes. Les traditions bibliques attribuent ce commencement pas très glorieux à deux peuples ennemis et voisins : Moab et Ammon. On ne peut pas attendre autre chose de ces deux peuples étant donné leur origine !

Lucas de Leyde, Loth et ses filles, 1530, Metropolitan Museum, New York (gravure)

Le profil de Loth n’apparaît pas d’une grande qualité dans les textes bibliques. Mari d’une femme minée par la curiosité et transformée en statue de sel, père de deux filles qu’il est prêt à échanger pour sauver la loi de l’hospitalité, père et grand-père à la fois de deux enfants (et deux peuples), redoutables ennemis d’Israël. On peut faire mieux avec beaucoup moins. Et voilà comment Loth qui entre dans le récit biblique par la porte de service, termine son parcours dans ces mêmes textes sans grand relief, comme personnage de deuxième zone. Mais entre temps il a permis de condamner une pratique sexuelle très répandue et de stigmatiser définitivement deux peuples voisins et ennemis d’Israël. Pour un personnage de deuxième division, ce n’est pas si mal.

asurmendi.jesus
Jesús Asurmendi

Bibliste. Professeur honoraire à l'Institut Catholique de Paris.
Parmi ses publications, « Du non-sens — L'Ecclésiaste », Éditions du Cerf, Paris, 2012 ; « Job », Éditions de l'Atelier, Paris, 1999.

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