Une enquête nous interroge sur notre « agir » et sur notre société pour qu’elle soit plus le fait d’une élaboration commune et plus soucieuse de l’humain.[1]FRACTURES FRANÇAISES 2021 – 9ème édition, Ipsos-sopra steria, le Monde, Fondation Jean-Jaures, Cevipof, Institut Montaigne, septembre 2021. Méthodologie : échantillon de 983 personnes de … Continue reading
Quelques constats clés pour débuter : 60 % des Français se disent mécontents, 31% en colère et très contestataires, 18 % trouvent normal le recours à la violence, d’autre part 59 % n’ont pas le sentiment d’appartenir à une communauté, contre 26 % celui d’appartenir à une communauté nationale ou de langue, 10 % à une communauté qui partage les mêmes modes de vie et 5 % à une communauté qui partagent les mêmes valeurs (notamment religieuses), d’autre part encore, 23 % seulement estiment « que l’on peut faire confiance à la plupart des gens ». La personne prime et tente de s’en sortir par elle-même, voire avec « sa famille » plutôt que de s’appuyer sur une communauté.
Mais propos rassurant, pour les deux tiers la démocratie est le meilleur système qui soit (voter est d’ailleurs perçu comme un devoir civique) ; dans le même temps, une forte majorité dit que « l’on a besoin d’un vrai chef pour remettre de l’ordre », dans un contexte où la majorité a le sentiment de vivre dans une société patriarcale (une société où le pouvoir est détenu par les hommes). N’est-ce pas paradoxal ?
Nombre d’institutions ne semblent plus remplir leur rôle
Autres raisons avancées de ce mécontentement, la confiance limitée dans les institutions : les Français accordent largement leur confiance aux institutions et groupes sociaux de proximité (les maires, les petites et moyennes entreprises, les scientifiques) aux institutions régaliennes (armée, police, école, mais beaucoup moins à la justice).
Ils sont plus réservés sur les institutions plus lointaines ou moins « saisissables » et leurs représentants (entre un tiers et la moitié), qu’ils soient politiques (de niveau départemental, régional, national) ou économiques (grandes entreprises, banques). Paradoxalement, moins d’un tiers des Français font encore confiance aux institutions où ils peuvent adhérer librement (les syndicats, les partis politiques), voire les informer (les médias). Est-ce là un signe de désengagement, ou de découragement ?
Mais alors quelles sont les préoccupations actuelles des Français ?
La justice sociale largement : l’avenir du système social (santé, retraites…), les difficultés en termes de pouvoir d’achat, plus en retrait, la montée des inégalités sociales. Si une faible majorité estime « qu’il faille prendre aux riches pour donner aux pauvres pour rétablir la justice sociale », une forte minorité pense que “plus il y a de riches, plus cela profite à la société” ; le chômage n’est plus jugé d’actualité. Mais dans le même temps une faible majorité pense que l’on évolue vers trop d’assistanat, alors que pour une forte minorité « il n’y a pas assez de solidarité envers les gens qui en ont besoin ». D’autres items sont cités par une forte minorité : la sécurité (niveau de délinquance, menace de terrorisme) et celui de la protection de l’environnement.
Qu’expriment-ils sur quelques questions « chaudes » actuelles ?
L’immigration : une majorité estime qu’il y a trop d’étrangers en France et qu’ils ne font pas assez d’efforts pour s’intégrer.
L’environnement : 88% sont conscients du changement climatique, l’activité humaine en étant largement responsable ; alors pour beaucoup, “Il faut que le Gouvernement prenne des mesures rapides et énergiques, même si cela signifie de demander aux Français de modifier en profondeur leurs modes de vie”, en exigeant aussi des sacrifices financiers. Une petite majorité estime que la modification viendra du changement de leurs modes de vie.
La politique : l’image des politiques demeure très négative (recherche de leur intérêt personnel, voire corruption, impression que leurs idées sont mal représentées…). Pour la moitié, les décisions devraient être prises, au nom de l’efficacité, au niveau de chaque territoire même si cela implique des différences.
L’économie : pour la majorité « la France doit se protéger davantage du monde d’aujourd’hui », alors que pour une forte minorité « la mondialisation est une opportunité ».
Et envers les religions ? 88 % perçoivent la religion catholique et 81 % la religion juive, compatibles avec les valeurs de la société Française. Ils ne sont plus que 41 % pour la religion musulmane, vue comme cherchant à imposer aux autres, leur mode de fonctionnement ; pour la moitié, l’islam porte en lui des germes de violence et d’intolérance.
Signe d’espoir venant d’une large minorité de Français, “l’avenir est plein d’opportunités et de nouvelles possibilités”, mais pour la majorité “c’était mieux avant”. Certes pour 30 % la France est en déclin irréversible, alors que pour 45 % le déclin n’est pas irréversible ; pour 25 % elle n’est pas en déclin.
Alors que tirer de cet état des lieux ?
La diversité des réponses [2]Quelques mots aussi sur les composantes sociologiques : les cadres, voire les professions intermédiaires sont les plus ouverts sur l’avenir, les retraités sont proches des cadres sur cette … Continue reading donne l’image d’une valse-hésitation entre repli sur soi, défiance et projection positive dans l’avenir, difficulté d’implication personnelle et conscience qu’il faut bouger. La dimension communautaire minoritaire, dispersée dans sa forme mais essentielle pour construire ensemble, risque d’être mis à mal par une minorité très en colère qui ne se sent pas écoutée. Mais dans le même temps, les minorités communautaires ne sont-elles pas des ancrages pour construire, notamment dans une dynamique de proximité, ce que l’on maîtrise le mieux.
Si pour construire la société, l’appartenance à une communauté est un atout essentiel, il ne faudrait toutefois pas confondre communauté et communautarisme, communauté et populisme, communauté et complotisme, qui sont des voies d’enfermement, en refus de dialogue. Le refus du pass sanitaire ou du vaccin au nom de « ma » liberté, voire au nom d’une incertitude sur son efficacité, exprimée dans des manifestations de foule, priorisent-ils le bien commun ?
Alors comment sortir du communautarisme, du populisme, si ce n’est en écoutant les souffrances, les colères, en décidant de leur prise en compte, mais à l’aune de ce bien commun, exigeant des « sorties de soi », des efforts acceptés de part et d’autre (cf ce qu’expriment Pierre Rosanvallon dans son dernier ouvrage « Les épreuves de la vie » ou Cynthia Fleury dans « Ci-gît l’amer ») La confiance envers les institutions et groupes humains, de proximité, pourrait être un atout pour cette élaboration commune.
Et puis, il y a cette conviction plus que favorable à la démocratie. Ce système permet de faire des choix communs par la négociation entre les différents groupes et aspirations humaines. Mais au final la majorité s’impose à une minorité, qu’il faut certes s’évertuer de rendre la plus petite possible.
Alors notre engagement, au nom de notre foi en Christ, quel est-il ?
Appartenir à une communauté, c’est un choix mais pour bonne part conditionné par nos histoires et nos enracinements culturels. Nous pouvons y vivre les valeurs de l’évangile, imparfaitement en ce sens que notre façon de les vivre est conditionnée par nos histoires individuelles, chacun pouvant les vivre « de bonne foi », non sans heurt et désaccord avec d’autres croyants inscrits dans des histoires différentes.
Comment aller au-delà ? L’approche synodale proposée par François pourrait nous le permettre, en acceptant de dépasser nos appartenances communautaires pour s’inscrire dans une écoute patiente des uns et des autres, sollicitée et accompagnée par le Souffle de Dieu ; son objet est la construction de cette fraternité que Jésus nous a enseigné. La seule « solution » pour une société harmonieuse, mais qui ne se réalisera pleinement que dans l’au-delà.
Notes
↑1 | FRACTURES FRANÇAISES 2021 – 9ème édition, Ipsos-sopra steria, le Monde, Fondation Jean-Jaures, Cevipof, Institut Montaigne, septembre 2021. Méthodologie : échantillon de 983 personnes de 18 ans et plus, interrogées en ligne entre le 25 et le 27 août. |
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↑2 | Quelques mots aussi sur les composantes sociologiques : les cadres, voire les professions intermédiaires sont les plus ouverts sur l’avenir, les retraités sont proches des cadres sur cette ouverture mais proches des employés/ouvriers sur le fait que c’était mieux avant, alors que les moins de 35 ans sont les plus très en colère et modérément portés vers l’avenir. |