L’Église et la démocratie sont-elles incompatibles ? Que peut-on attendre alors du prochain synode ?
La chronique d’Alain Cabantous
L’on nous prévient depuis plusieurs mois. La préparation du synode sur la synodalité (prévu en 2023) pour tenter de combler un peu l’immense fossé qui n’a cessé de se creuser « entre les modes d’exercice d’autorité de l’institution et les aspirations de nombreux fidèles » (René Poujol) ne doit pas tourner au débat démocratique. La mise en valeur du sensus fidei devrait d’abord s’appuyer sur une expérience de nature spirituelle, sur une recherche en commun grâce à une écoute attentive au pneuma. Lors du lancement du processus, le 10 octobre dernier, le pape François a encore rappelé avec force que ce synode n’était « ni un parlement ni une convention ecclésiastique » mais « un événement de grâce conduit par l’Esprit saint ».
Ces mises en garde comme ces balisages officiels soulèvent quand même beaucoup d’interrogations sur les rapports entre Église et démocratie. Par exemple, quelle instance décidera que l’Esprit saint a soufflé, renvoyant du même coup au fameux « L’Esprit saint et nous-mêmes avons décidé ce qui suit » (Actes 15,28) ? L’Église est-elle une institution comme une autre ? Apparemment pas. Pareille spécificité même d’origine divine ouvre la porte à toutes les dérives possibles comme vient de le mettre en évidence avec une lumière crue le rapport Sauvé. Qu’en est-il des contre-pouvoirs dans l’Église alors que l’évêque est à la fois, « le juge suprême, le chef suprême du personnel, le premier stratège, le père spirituel » (abbé Nicolas Betticher) et éventuellement « le bon berger » ? La gouvernance de l’actuel archevêque de Paris y répond jusqu’à la caricature. Pourquoi seuls les membres du clergé peuvent-ils bénéficier du principe démocratique de base : un individu-une voix ? En effet, n’est-ce pas la pratique pour l’élection du pape, pour celle des abbesses et abbés des communautés religieuses et jadis pour les aspirants aux charges canoniales ? Et lors du concile Vatican II, tous les textes n’ont-ils pas été soumis à un vote d’approbation ?
En réalité, l’Église-institution ne s’est jamais affranchie de sa peur de la démocratie tenue pour « la représentation d’intérêts en conflit » dans le document préparatoire au synode. Ce qui en dit long tout en restant un peu court. Elle entretient d’ailleurs un modèle hiérarchique fortement pyramidal où les évêques puis les prêtres sont nommés d’en haut sans concertation aucune du peuple catholique à qui ils sont confiés. Le système conforte une société de baptisé-baptisé-es totalement inégalitaire voire une véritable ségrégation entre clercs et laïcs. Les synodes diocésains qui se sont tenus ici et là depuis une trentaine d’années ne doivent pas faire illusion. Ils n’ont pas servi à grand-chose sinon à donner bonne conscience à ceux qui les avaient initiés sans risques.
Que dire alors des réactions de l’Église face aux tentatives d’un pouvoir politique en recherche de démocratie afin d’infléchir les choses ? Le cas de la Révolution française en est un bon exemple. Le 12 juillet 1790, l’Assemblée Constituante élue vota la Constitution Civile du Clergé pour adapter les institutions religieuses aux nouveaux fondements de la Nation. Après la confiscation des biens du clergé (novembre puis avril 1790), les membres de l’ex premier ordre du royaume étaient désormais des fonctionnaires qui seront élus au même titre que les autres. Ainsi évêques et curés le seraient par les citoyens actifs (ceux qui paient un certain montant de contribution fiscale) des assemblées électorales du département ou du district. Autrement dit, les hommes d’Église détiendraient leur charge « civique » grâce au vote des catholiques mais aussi, abomination de la désolation, de celui des protestants, des juifs ou des athées. Toutefois, même si les constituants reconnaissaient de bonne foi que les prêtres « exerçaient les premières et les plus importantes fonctions de la société », cette initiative législative dressant une partie du clergé (et des fidèles…) contre le pouvoir politique fut condamnée par un premier bref du pape Pie VI qui tenait cette Constitution civile pour schismatique. En outre, certains prélats, en particulier ceux dont le siège épiscopal avait été supprimé (on passe alors de 135 à 83 diocèses), estimaient que puisqu’ils détenaient leur juridiction de la sainte Église seule, c’est elle seule qui pouvait la leur enlever. L’obligation du serment imposée aux prêtres mais votée démocratiquement quelques mois plus tard (novembre 1790) élargit la fracture entre les nouvelles pratiques du régime et l’institution qui, continuant de se penser comme d’essence supérieure, ne ménagea pas par la suite son soutien à un ordre monarchique, fût-il moribond, qu’elle tenait pour un reflet du sien.
On pourrait bien sûr multiplier les cas de ces déficits démocratiques et leurs effets. Contentons ici de rappeler ici que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, dont l’article 21 porte sur le droit à la libre démocratie, n’a été reconnue par Rome que par étapes (1963, 1974, 1979, 2004). Pour autant certains pontifes ne renoncèrent pas à vouloir corriger la teneur de quelques articles dans le sens de la sainte doctrine. Et ce, sans avoir ouvert un quelconque débat parmi les catholiques.
Ainsi les expressions « démocratie chrétienne », « démocratie et Église » ou, pire encore, « Église démocratique » ou « Église du peuple » s’apparentent furieusement à des formes d’oxymore. Quant à la « démocratie dans l’Église », c’est juste un mensonge pas vraiment pieux. De quoi s’interroger sérieusement sur les formes délibératives et les résultats concrets du synode qui vient.