« Après la primaire à droite et la victoire de l’ancien député de la Sarthe, les journalistes de tous bords ont commencé à décliner l’identité catholique sans avoir peur du ridicule ». Mais « est-ce vraiment le “vote catho” qui a propulsé en tête Monsieur Nobody au prétexte qu’il était religieusement propre sur lui ? D’ailleurs qui sont les cathos qui s’identifient au vote catho ? ». Chronique d’Alain Cabantous du 9 janvier 2017
Nous vous proposons les articles de cette chronique effacés de notre ancien site en mars 2021, lors de la fermeture du Centre Pastoral.
Au cours des années 1870, au lendemain de la défaite contre la Prusse « protestante », après la Commune anticléricale, face à l’instauration de la République, dans le sillage des apparitions mariales comme s’il en pleuvait et dans l’exaltation de la dévotion au Sacré Cœur (emblème des Chouans de Vendée), un cantique commença à faire fureur. Parmi les paroles, relevons les plus parlantes : « La France revient à son Dieu/D’être chrétienne, elle fait le vœu », ou s’adressant à Marie : « Elle assiège tes sanctuaires/Elle accourt dans tes saints parvis ». Je vous réserve bien sûr le meilleur pour la fin avec ce refrain qui vaut son pesant d’indulgence(s) : « (Marie) Garde au cœur des Français/la foi des anciens jours/Entends le cri de la Patrie/Catholiques et Français toujours. »
Les événements et autres déclarations multiples au moins depuis les « manifs pour tous » semblent rendre à ce texte une seconde jeunesse. Après la primaire à droite et la victoire de l’ancien député de la Sarthe venu se faire élire dans le VIe arrondissement de la capitale, les journalistes de tous bords ont commencé à décliner l’identité catholique sans avoir peur du ridicule. Entre les faux cris d’effroi de Libé (« Au secours, Jésus revient ») et le titre provocateur à bon compte de Valeurs actuelles en décembre (« La France chrétienne et fière de l’être »), tout y sera passé. Ces gens de presse (re) découvrent le fait religieux et, comme des néophytes, lui octroient une importance qu’il n’a pas totalement méritée au moins dans le contexte des dites primaires. Est-ce vraiment le « vote catho » qui a propulsé en tête Monsieur Nobody au prétexte qu’il était religieusement propre sur lui ? D’ailleurs qui sont les cathos qui s’identifient au vote catho ? Tous ceux qui vont à la messe le dimanche (5 % de la population), et qui ont une famille nombreuse ? Comme s’il n’y avait qu’un vote catho de plus en plus conservateur.
F. Fillon lui-même et ses conseillers ne doivent pas en être très sûrs puisque la semaine dernière, interrogé au journal du soir de TF1, le candidat a dit tout de go « Je suis gaulliste et de surcroît chrétien ». Étrange aveu, faussement subtil (il n’a pas dit « catholique ») et à l’amalgame douteux voire fallacieux au regard du programme thatchérien à souhait, très éloigné de l’idée que de Gaulle se faisait de l’économie. Autre temps bien sûr. F. Fillon ici, ultra-libéral, fossoyeur du service public, réservant sa charité aux plus nantis (fin de l’ISF, hausse des points de TVA) nous la joue aussi « abbé Pierre » pour élargir sa base catho justement en lorgnant vers tous ceux qui, parce que démocrates-chrétiens, n’ont pas voté.
La ficelle est tellement grosse qu’elle ressemble à une corde à neuneu. L’autre François, Bayrou, ne s’y s’est pas trompé en jugeant indécente cette récupération. Qu’on se le dise : le christianisme social, c’est lui et au vu du programme de Fillon, on ne saurait lui donner tort. En outre, il dénonce fort justement l’instrumentalisation politique de la religion et ce mélange des genres assumé. « Ne plus porter atteinte à la Sécu parce que je suis chrétien, qu’est-ce que ça a à voir ? » remarque le maire de Pau. Effectivement rien et les préférences religieuses de F. Fillon, jamais exprimées publiquement auparavant, sont bien dans le mauvais air du temps.
Car les phénomènes identitaires sont à l’œuvre de manière de plus en plus ouverte et la prétendue identité catholique n’y échappe pas. Gaulliste et chrétien, c’est la nouvelle version de « catholique et Français » des lendemains du Second Empire. Aujourd’hui, les officines de droite extrême ou carrément d’extrême-droite, sous le prétexte de défense de la civilisation menacée de notre pays, regardent dans le rétroviseur en regrettant « l’âge d’or du catholicisme », qui n’a jamais existé, et, façon Maurras, l’ancienne puissance de l’Église. D’où, bien entendu, ce recours de plus en plus appuyé aux racines chrétiennes de la France. Que notre pays ait été marqué par la prégnance de l’Église, nul ne le conteste. Mais il s’est aussi forgé une culture grâce à l’influence de la civilisation romaine, à l’apport des Lumières et de 1789. D’ailleurs quelles sont ces racines chrétiennes tant revendiquées par certains ? Le baptême de Clovis, résultat d’un pari ? Le sacre de rois par ailleurs thaumaturges ? La bravoure de Jeanne d’Arc condamnée par un tribunal religieux ? La politique d’un Louis XIV, organisant la répression anti-protestante après 1685 et à la limite du schisme à propos de la régale — une affaire de gros sous ? On aimerait le savoir. Comme on souhaiterait que les zélateurs de la France chrétienne n’oublient pas que le christianisme du VIe siècle, dans ses préoccupations dogmatiques, dans ses pratiques, dans ses croyances même, ne ressemblait pas vraiment à celui du XIIIe voire à celui du XVIIe siècle.
Contrairement à ce qu’affirmait sans sourire un théologien du XVIe siècle, non, le Christ en mourant n’a pas tourné son visage vers la France pour lui assigner un destin privilégié ! Alors, n’en déplaisent aux visées électoralistes de François Fillon, il n’est pas responsable de jouer avec des associations identitaires aussi incertaines. Quelques âmes sensibles, catholiques et françaises, peu versées dans les combats et les arcanes du pouvoir, seraient capables de le croire.
le 9 janvier 2017