Le suicide de François de Foucauld, prêtre du diocèse de Versailles, a suscité en toute la France une très vive émotion. Un drame symptomatique de certaines incohérences entre l’esprit de l’Évangile et son application aujourd’hui dans notre Église.                                    

L’essence de nos relations humaines 

Une mort par désespoir — celle de François de Foucauld, prêtre du diocèse de Versailles (lire ici) — vient de mettre en relief ce qui l’aurait probablement évitée : écoute première des victimes, puis des accusés, obtention d’un résultat objectif et si possible consensuel, diagnostic suivi de propositions réparatrices, et remèdes préventifs. Ces protocoles, bien connus aujourd’hui, permettent la mise en œuvre rapide de fonctionnements institutionnels précis et sains dans des lieux fraternels permettant conciliation (et pas seulement une négociation discrète, car peu honorable), médiation et accompagnement (et pas seulement l’exercice d’une autorité inégale mal établie). 
Ce prendre soin, veiller sur (le beau sens du mot grec épiscopos, évêque) relève du plan fondamental et universel des relations humaines, et le regard aimant d’un Jésus penché sur tous, inconditionnellement, en a amplement donné l’exemple.    

Une question sociétale de Droits humains dans la société Église

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Rembrandt, Tête du Christ (1645-1650), Gemäldegalerie, Berlin.

La hiérarchie de l’Église dispose actuellement des trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) mais l’Évangile peut suffire à éviter tout abus. Notons que cette concentration exceptionnelle est due à un droit autoréférentiel qui remonte à quelques siècles seulement.  
En cas de conflit, l’Église est-elle différente de tout organisme, individuel ou social, qui dysfonctionne ? Non, et d’ailleurs si les paraboles montrent le Royaume comme le fruit de la communion de tous, l’Église catholique est elle aussi de ce monde.   
Or l’effroi du scandale qui nuira à l’Institution entraîne certes chez elle un conflit de loyauté, mais son effroi est tel qu’elle emprunte parfois la piste trompeuse de la fin qui justifierait les moyens : surdité et non-réponses, opacité organisée, destruction de preuves, menaces, négociations proches du marchandage, chantage imposant silence. Les violences sont alors diverses : refus de corps intermédiaires, mise sur la touche, transformation en boucs émissaires, appels à la conversion et à être « raisonnables », tout cela au nom de valeurs réputées chrétiennes, de l’obéissance parfois hissée au niveau d’un noble sacrifice. Les victimes sont isolées, sans recours, perdues d’avance, pour ne pas nuire à une autorité ressentie comme supérieure.

En réalité, le Droit canon (voir les canons de 23 à 28 ; 208 ; de 212 à 230) ne permet évidemment pas cette élimination des voix gênantes, ni l’offuscation de la vérité, ni cette situation injuste.  

Par ailleurs cette crainte de l’esclandre (supérieure, hélas, à la volonté de « guérir » de ce mal) assure aux responsables l’impunité judiciaire, provoque le départ raisonné de nombreux baptisés et déclenche son rejet logique chez ceux qui sont au courant. De plus, elle prive la communauté de celui qui proteste et pourrait être utile : ce refus d’une parole autre, ce refus d’altérité, est déjà une vraie dérive morale qui ne peut que s’accroître, permettre d’autres abus toujours impunis, et d’autres victimes toujours non-réparées, sauf si le droit universel de chacun est à nouveau respecté concrètement. 
Rien ne peut remplacer une véritable analyse et la réparation des responsables envers les victimes. Réparation juridique et humaine d’abord et avant tout déterminée par les lois humaines fondées sur la Règle d’Or, une éthique de réciprocité, mais aussi, puisqu’il s’agit ici d’abus internes à l’Église, réparation inspirée par les exigences lumineuses d’une loi d’amour puisée à l’Évangile. 

Une déviation pseudo-théologique à redresser ? 

Les dérobades de certains catholiques qui refusent de considérer que l’Église, faite d’humains, n’appartient pas à un monde divin de perfection, relèvent d’un comportement quasi-névrotique devant un tabou. Ce n’est pourtant pas un blasphème que de dire que c’est un idéal à atteindre, un chemin à prendre ; c’est plus modeste et probablement assez sain.
Pour faire taire des évocations gênantes, certains ont, progressivement et par un faux-idéalisme peut-être, instrumentalisé le contenu même de la Foi au moyen de considérations idéalistes et mystiques avancées comme théologiques. On a « spiritualisé à l’infini le pouvoir afin de l’apprivoiser » (F. de Foucauld, voir ici) par exemple en exhortant les victimes au pardon. Plus largement, est-il bon et légitime d’oser appuyer sur une grâce sacramentelle ou un don de l’Esprit, un exercice temporel imprégné d’arbitraire ou d’injustice ? 

Aujourd’hui, il brûle nos yeux, ce fossé qui s’est marqué entre d’une part l’esprit de l’Évangile et des pratiques sociales juridiques normales (qu’il a inspirées en grande partie !), et d’autre part le Droit ecclésial et ses pratiques par certains aujourd’hui… 
Regrettons quand il y a lieu ce fossé, ce paradoxe qui nous fait honte, et demandons à ce que la théologie remette en état ces passages de plain-pied entre la société et notre foi, ces liens que certaines préconisations religieuses ont mis à mal. 

Un sujet qui ne devrait plus être une gêne : la gouvernance dans l’Église

Les plaintes précises (donc chiffrables) des victimes d’abus sexuels ont permis à la CIASE d’identifier leur cause : des défaillances systémiques.
C’est une mort hélas qui vient de mettre soudain en lumière vive les abus de pouvoir internes au sein du clergé : est-il possible de comptabiliser ce suicide, et toutes ces défections physiques ou spirituelles qui en sont le symptôme et la conséquence ?  

Bien des protestations s’élèvent aussi de la part de fidèles qui sont par exemple victimes de divorces, d’accidents de la vie, de situations imposées, de choix difficiles, et qui doivent supporter en sus, de la part de l’Église, des jugements, des rejets et des punitions qu’ils trouvent injustes et disproportionnés au sens humain. Ne devrions-nous pas ajouter ces discriminations comme des abus de pouvoir de l’Église dans la mesure où elles ne sont pas fondées sur l’Évangile et ne peuvent se réclamer de son esprit ? 

Ces discriminations, même présentées parfois quasi-dogmatiquement, sont souvent relatives au contexte momentané qui les a suscitées : elles sont donc redressables par nature si elles s’avèrent nuisibles.   
Par ailleurs, les contributions envoyées pour le Synode sur la synodalité réclament une cohérence avec l’Évangile en tous domaines. Lorsqu’elles évoquent la gouvernance, la plupart souhaitent un partage juste et harmonieux des responsabilités sous le mode du service, un exercice de l’autorité qui permet de collaborer tous ensemble, dans un esprit fraternel et de service mutuel, car une autorité librement acceptée, est d’autant mieux reconnue, qu’elle soit juridique ou théologique.

Un espoir à faire advenir

Bonté et beautés d’une Église en chemin. Mais parfois enchaînement d’injustices et de souffrances. 
Désaffection vis-à-vis de l’Église Institution, désaffection vis-à-vis du prêtre…  
Fidèles réduits au silence s’éloignant de l’Église institution (et de Dieu aussi ?) dans le silence qui leur est imposé… 
Nous pourrions pourtant avec « humilité, lucidité et courage » regarder la vérité, ouvrir ce chantier pour faire place aux droits des victimes, et nous reconstruire à la lumière de l’Évangile, en suivant le modèle de Jésus, Pasteur et Serviteur, et l’appel créateur d’un Dieu Père et Mère se suscitant des Fils libres et conscients.  
Il se peut même que des victimes qui aiment encore l’Église l’y aident…
Chacun, nous sommes tous concernés. 

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mi.rousselot
Marguerite Champeaux-Rousselot

Marguerite Champeaux-Rousselot est historienne et anthropologue, (spécialité : religions de l’Antiquité ; observation et traduction des objets, « traces » et témoignages). Mère et grand-mère, longtemps ardemment investie dans la vie associative laïque, elle a enseigné le grec et pratique une lecture critique contextualisée. Une approche historique, scientifique et humaine redonne vie aux mots de jadis qui sont aujourd’hui encore facteurs de paralysie ou sources de dynamisme.

  1. Marie-Louise HUGON
    Marie-Louise HUGON says:

    Un grand MERCI Marguerite pour cet article
    je vais le transmettre à des amis
    Je te souhaite un bel été
    Marie-Louise H

    1. Marguerite Rousselot
      Marguerite Rousselot says:

      Un collectif s’est créé je crois pour réfléchir à ce sujet et j’espère avoir des renseignements.

  2. José MANDIANGU
    José MANDIANGU says:

    Bonjour Marguerite et merci pour ce partage. Il y a du chemin à faire, des temps propices à la création à encourager !
    José

  3. Marie-Ange
    Marie-Ange says:

    La – tradition du silence – dans l’église catholique semble nichée partout… Je me souviens d’un jour où dans une communauté bénédictine, j’avais dis qu’une moniale avait quitté la communauté, que n’avais-je fais là !!! Tout le monde le savait mais se devait de le taire !!! J’eus droit à une engueulade, à laquelle je répondis que la parole saine de la vérité valait mieux que sa manipulation et les ragots de gamineries par derrière… On me regarda écarquillé comme si on découvrait la lune ! … Et c’est pour tout comme ça…

    1. Jacqueline Boyer-Stanic
      Jacqueline Boyer-Stanic says:

      Félicitations Marie-Ange, il.faut parler,
      Heureuse de vou lire, esperons que nous pourrons nous retrouver un jour de cette année encore.
      Amitiés, Jacqueline

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