En pleine canicule, la nouvelle œuvre hors norme de Victorine Müller sur le Socle est un appel poétique et surprenant à veiller sur ce qui est en train d’advenir : la nature, humaine, végétale et animale. C’est donc un hymne et un immense pari très actuel. La chronique de Jean Deuzèmes
Les Saintmerriens se souviennent de l’œuvre gonflable de Victorine Müller au milieu de la nef durant l’été 2012. Chim’air qui avait suscité le débat puis rapidement l’admiration[1].
Il a fallu dix ans à cette artiste suisse vivant et travaillant à Zürich, pour passer la rue du Cloître-Saint-Merri… Elle a installé sur le Socle une nouvelle œuvre conçue sur les mêmes principes : une double structure gonflée à l’air, en polyuréthane, très grande (2,5 x 4,4 x 1,80m), qui n’est pas posée, mais suspendue. Tous les repères artistiques sont modifiés par cette artiste de renom.
Le Socle Paris n’est plus destiné à exposer une statue traditionnelle (un héros, un cavalier, voire un dictateur comme « Debout.Le Roi des trous ») en bronze, en pierre ou en matériaux mixtes, mais à soutenir de l’air et de la lumière. La matière du socle ne sert plus à résister au poids d’une sculpture, mais à révéler la légèreté d’une œuvre.
« Le mouvement végétatif » est une œuvre que l’on ne s’attend pas à voir dans un espace public aussi fréquenté que la rue Saint-Martin. Il a fallu d’abord imaginer et fabriquer la structure qui la mettrait en valeur et la retiendrait des bourrasques de vent : la spirale très fine a été réalisée par un artiste-artisan ferronnier, Nicolas Amar, et le montage en lui-même fut une prouesse technique de Thomas Monnier, régisseur. Ensuite, le collectif 6M3- Le Socle Paris a pris le risque d’exposer cette double forme de polyuréthane (0,5mm d’épaisseur), le risque étant au cœur même de l’œuvre : montrer la fragilité, la partager et faire le pari d’une responsabilité collective des spectateurs pour la préserver.
L’objet léger et brillant exprime la vulnérabilité et la préciosité de ce qui est en train d’advenir : la nature, humaine, végétale et animale. Cet objet, aux allures fœtales dans un premier regard, fait référence aux menaces de l’anthropocène ; cette création est d’actualité par sa signification.
La grande peau transparente, d’apparence fragile, protège un être tout aussi transparent, une énergie, un élan de vie. La peau et l’intime changent ensemble d’aspect, en fonction de l’éclairage du jour ou de la nuit, du reflet de l’environnement proche et des passants.
Toutes les œuvres de Victorine Müller (des animaux, des végétaux, des êtres imaginaires) sont imaginées avec le même matériau.
Elles sont poétiques et, pour ce projet, l’artiste fait référence au grand poème de Rainer Maria Rilke, «Tu ne dois pas chercher à comprendre la vie[2]. »
Aux cinq installations précédentes sur le Socle, toutes différentes les unes les autres, succède ainsi une œuvre où l’imagination de l’artiste et la finesse du montage sont en complet accord. La vie est un risque et un absolu commun à protéger à l’heure du changement climatique.
Site de l’artiste
Site du Socle
Partenariat : Pro Helvetia et Luft & Laune
Œuvre visible jour et nuit
Juillet-octobre 2022
80 rue Saint-Martin
75004 Paris
[1] Neuf ans après, c’est une structure analogue représentant une colombe qui a été suspendue dans une église l’église de Frankfurt : « Im Augenblick und alles in Reichweite », « Dans l’instant et tout à la portée de la main ».
[2] Tu ne dois pas chercher à comprendre la vie
Elle sera dès lors pour toi comme une fête.
Laisse chaque jour te combler
Comme un enfant qui passe
Se voit comblé de fleurs
Par chaque brise.
Il ne lui vient pas à l’esprit
de les ramasser ni de les garder.
Doucement de sa chevelure,
tendre prison, il les enlève,
et à ses chères jeunes années
il tend les mains pour avoir d’autres fleurs.
Rainer Maria Rilke
(composé le 8.1.1898)
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Superbe ! Ça me donne envie de rentrer à Paris, enfin presque envie…