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La résurrection se vit au présent. L’école paulinienne

L’apôtre Paul a contribué à façonner nos représentations de la résurrection. Sa pensée a évolué au cours du temps, en se détachant de la littérature apocalyptique du premier siècle de notre ère. La suite de la chronique de Colette Deremble sur la résurrection

Andreï Roublev, Icône de Saint Paul, c.1407, Galerie Trétiakov, Moscou

Paul a largement contribué à façonner nos représentations de la résurrection. C’est lui qui réfléchit au lien à faire entre la résurrection de Jésus et la nôtre. C’est lui qui martèle « Si le Christ n’est pas ressuscité, vide est notre foi ».
Il nous propose une pensée évolutive, constituée d’images variées, contradictoires, car sa pensée se construit en même temps que sa foi. Il faut, par ailleurs, avoir en tête que, ce qu’on met sous le nom de Paul, est un ensemble de lettres, dont plusieurs ont été écrites dans son entourage, ou par ses disciples. Son langage est inévitablement débiteur de celui de la vaste littérature apocalyptique contemporaine, avec son réseau de métaphores et d’images épiques (trompettes, nuées, voix dans le ciel, anges…), qui montrait, qu’à la fin des temps, les bons seront récompensés et les méchants punis. Lorsqu’on lit les lettres – dites de Paul – dans leur trame évolutive, on voit que son cheminement l’a conduit à se détacher de la littérature apocalyptique de son temps. Nous ne ferons ici qu’esquisser certains jalons de réflexion, en évoquant quelques passages déterminants, car la pensée de la Résurrection de l’école paulinienne est d’une extrême complexité et nécessiterait une très longue étude, nécessairement érudite.

Ressusciter, c’est « être avec Dieu »

Première lettre aux Thessaloniciens, 4, 13-18

Une première étape dans la pensée de Paul est représentée par la première Épître aux Thessaloniciens, qui est aussi le plus ancien écrit chrétien. Paul s’y montre encore imprégné de la pensée apocalyptique : « Le Seigneur lui-même, au signal donné, à la voix de l’archange, à la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts en Christ se relèveront d’abord. Ensuite, nous les vivants, qui seront restés ensemble avec eux, nous serons emportés dans les nuées à la rencontre du Seigneur dans les airs. Et ainsi, toujours, nous serons avec le Seigneur ». Le scénario apocalyptique est clair, même s’il s’achève un peu « en queue de poisson », les ressuscités restant suspendus entre ciel et terre sur leur nuée, de manière assez inconfortable…

Victor Mottez, La résurrection des morts, 1870, Palais des Beaux-Arts, Lille




Au-delà de cette grande fresque, qui ne fait que reprendre un vocabulaire conventionnel (la mort comme sommeil, la procession triomphale devant l’empereur, l’enlèvement sur les nuées, les trompettes…), Paul montre qu’il commence à ne pas en être totalement dépendant : « Toujours, nous serons avec le Seigneur », phrase qui se démarque clairement du ton apocalyptique : telle est l’espérance de Paul dans la résurrection : elle se vit de manière collective et non individuelle,  comme un « être-avec-Dieu », une présence de l’humanité en Dieu.

Qu’est-ce que le « corps » qui ressuscite ?

Première lettre aux Corinthiens, chapitre 15

C’est l’humanité revivifiée : nous sommes le corps du Christ.

Le très long chapitre 15 de la première Épître aux Corinthiens propose l’enseignement le plus étoffé sur la résurrection du Nouveau Testament. Il l’exprime avec le vocabulaire traditionnel de l’« éveil », mot qui revient dix-neuf fois et il reprend, par instants, le langage apocalyptique, apparent dans les versets 20 à 28. Mais, par rapport à d’autres textes apocalyptiques, comme celui de Baruch, il y a deux écarts considérables : d’abord parce que Paul établit un lien très fort entre la Pâque et la vie chrétienne : sans la foi en la Pâque, la foi est vide, la prédication est inutile, la communauté n’existe pas. La résurrection n’est plus le pôle final d’un jugement attendu : elle donne le sens de notre vie. Auparavant, au chapitre 12, Paul a énoncé un principe fondamental : nous sommes le corps du Christ.
Notre foi repose sur le fait que, puisque « Christ a été éveillé », par lui « tous seront vivifiés ». La problématique binaire et dualiste des textes apocalyptiques disparaît : on n’attend pas la fin des temps pour assister au tribunal des récompenses et des punitions : aujourd’hui, la victoire du Christ sur le mal emporte l’humanité entière dans son sillage.

Paul – aux versets 35 à 58 – se lance courageusement dans la problématique de la résurrection des corps : « Comment ressuscite-t-on ? ». Le texte argumente, à la manière rabbinique, en style métaphorique, à partir de deux images, celle des semailles et celle de la diversité des espèces. La métaphore des semailles est éclairante et elle a le mérite d’être aussi dans la bouche du Christ, selon les évangélistes.

« Si le grain de blé ne meurt, il ne porte pas de fruit ». (Jn 12, 24)

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Photo Francesco Gallarotti sur Unsplash

Par la métaphore des semailles, Paul éclaire la manière dont la résurrection doit être conçue, comme une transfiguration, une transformation : ressusciter c’est « devenir autre » (52). Cet « autre » sera « corps spirituel ». Comment comprendre cette expression intrinsèquement contradictoire ? Il faut peut-être comprendre le « corps » comme la personne toute entière qui désormais est sous la mouvance de l’Esprit, et « spirituel » non pas au sens d’abstrait, mais animé de Dieu. Ce terme de « corps », nous pouvons aussi mieux le comprendre en nous souvenant que c’est celui que Jésus utilise dans le don de sa vie : « Ceci est mon corps ». À partir de ces deux textes, on sent à quel point le plus grand écart, creusé par Paul, par rapport à la problématique apocalyptique, concerne son retrait par rapport au dualisme bien / mal et sa sortie d’une rétribution individuelle. La résurrection concerne l’humanité toute entière : ce n’est pas une affaire privée. Le Christ ne ressuscite pas seul : il entraîne l’humanité, qui, toute entière, est appelée à vivre de la vie de Jésus.

La mort dont on parle, c’est la mort au péché.

L’apport essentiel des textes pauliniens est de montrer comment, parce que le Christ a pleinement vécu de la vie de Dieu, il entraîne l’humanité à devenir une créature nouvelle, morte au péché et vivant de la vie de Dieu :

  • 2 Co 5, 17 : « Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature ; le monde ancien s’en est allé, voici qu’une nouvelle réalité est là ».
  • Ga 2, 19 : « par la Loi, je suis mort à la Loi afin de vivre pour Dieu : je suis crucifié avec le Christ. Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi ».
  • Rm 6, 4 : « Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle ».[…]« Sa mort fut une mort au péché, une fois pour toutes, mais sa vie est une vie à Dieu. Et vous de mêmes, regardez-vous comme morts au péché et vivants pour Dieu dans le Christ Jésus ».
  • Col 2. Paul, jusque là, ne supprime pas la tension vers l’eschatologie, mais la traduit avec nuances : le salut est déjà là, mais nous avons à le réaliser. Le royaume est parmi nous, mais nous avons à le vivre. C’est le magnifique texte de Col 2 – dont on n’est pas sûr qu’il soit vraiment de Paul, mais, en tout cas, d’un de ses disciples proches – : « Vous vous êtes dépouillés du vieil homme et vous avez revêtu le nouveau, celui qui s’achemine vers la vraie connaissance en se renouvelant à l’image de son créateur. Là, il n’est plus question de Grec ou de Juif, de circoncision ou d’incirconcision, de Barbare ou de Scythe, d’esclave ou d’homme libre : il n’y a que le Christ, qui est tout et en tous. Vous donc, les élus de Dieu, ses saints, ses bien-aimés, revêtez des sentiments de compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience […] ». Ainsi, l’ Épître aux Colossiens continue la réflexion de Paul qui est d’affirmer que la communauté croyante a déjà accès à la plénitude du salut.

Un second texte, de l’épître de Paul aux Colossiens, est encore plus explicite :

Du moment que vous êtes ressuscités avec le Christ,
recherchez les choses d’en-haut.

La résurrection, non seulement n’appartient pas au futur, mais elle est exprimée au passé

Cette révolution nous amène au terme du cheminement qui, désormais, a laissé derrière lui le système de pensée apocalyptique traditionnelle. La résurrection s’entend donc au sens spirituel comme une vie nouvelle et actuelle en Dieu. Elle nous entraîne vers une vie d’amour : elle nous donne des devoirs. La résurrection n’est pas un état passif : c’est un devenir. On est, à cette étape, frappé par l’audace et la force théologique du concept exprimé dans cette Épître aux Colossiens. Le message est clair : il attribue une valeur éminemment positive au présent, qui n’est plus compris comme un espace d’attente avant la fin des temps. Il n’est plus question de consolation, en vue du grand bouleversement cosmique annoncé. La problématique de la résurrection des corps a disparu. Comme la pensée de la vie éternelle qui s’exprime dans l’Évangile de Jean, celle de l’Épître aux Colossiens, aboutissement de la réflexion de Paul, confère une valeur infinie, éternelle, divine à l’existence croyante dans le présent. En Christ, nous sommes déjà ressuscités.

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Photo Mitch Hodge sur Unsplash

Conclusion

Reste entière la question qui nous tenaille : certes, nous sommes déjà ressuscités : mais que devenons-nous après la mort ? Le Nouveau Testament est bien peu explicite sur ce sujet qui semble ne pas l’intéresser. Il nous parle d’autre chose. Certes, nous sommes libres d’imaginer et d’espérer un “au-delà” de la vie terrestre. Mais force est bien de constater que les Évangiles et saint Paul nous demandent plutôt de nous éveiller aujourd’hui, de nous convertir aujourd’hui, de nous laisser aujourd’hui habiter par la vie du Christ, de mourir aujourd’hui au vieil homme, d’être ensemble corps ressuscité du Christ. Et si nous devions répondre malgré tout à la question d’après notre mort, ce serait par la métaphore du grain de blé : la puissance d’amour et de vie, dont chacun de nous a sa part et que chacun a fait fructifier à sa manière, je crois qu’elle se répand sur ceux qui restent et qui ont pour mission, à leur tour, de faire fructifier cette vie pour les autres.

Mathis Grünewald, La Résurrection du Retable d’Issenheim, vers 1510-1516, 292 cm x 165 cm, Colmar, Musée Interlinden (détail)
Matthias Grünewald, La Résurrection (détail),
Retable d’Issenheim, vers 1515, Musée Unterlinden, Colmar

Christ est ressuscité.

Tel est le cœur de notre foi.

Il est ressuscité, éternellement vivant, car il se laisse chaque jour rencontrer dans la fraternité accueillante (« Qui vous accueille m’accueille » Mt 10, 34), qui pardonne, dans la révolutionnaire valorisation du petit (« Qui accueille un enfant m’accueille, moi », Mt 18, 5), dans la solidarité face aux blessures d’autrui : tel est le message, développé de manière si novatrice, si lumineuse, par le Jésus de Matthieu dans son discours du Jugement dernier. Il y a urgence à comprendre que la rencontre plénière avec Jésus ressuscité, celle dont on peut le moins douter, est pour aujourd’hui et qu’elle est manifeste dans notre relation solidaire à celui qui souffre, fût-il l’être le plus moralement corrompu ou l’ennemi : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger… Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait » Mt, 25. Ce Jésus vivant, il est possible de le « voir » en notre prochain, quel qu’il soit.

Photo Slav Romanov sur Unsplash


Là, se trouve le roc de notre foi. Christ est ressuscité car il vit en nous puisqu’il a donné son « corps » à manger. Alors, on pressent que l’amour inconditionnel, fait de pardon, de bienveillance, d’humilité, de solidarité, de partage, cet amour qui semble inaccessible, nous a été pleinement communiqué dans la manducation et la digestion que nous avons à faire de ce « corps », qui est Amour inconditionnel. Il ne s’agit pas seulement d’imiter Jésus, mais de devenir lui. Jésus, parce qu’il s’est donné à « manger », permet à chacun de vivre et d’annoncer cet amour par lequel Dieu se manifeste pleinement en lui. Il prend « corps » en chaque geste d’amour désintéressé : c’est la Bonne Nouvelle du repas de communion et du tombeau béant, deux « théologoumènes » intrinsèquement liés l’un à l’autre et qui trouvent leur sens à travers le discours dit du Jugement dernier. Chacun peut alors, s’il le veut, entendre, vivre et transmettre ces paroles de vie : Lève-toi ! Éveille-toi ! Ressuscite !
Je crois qu’ainsi, se trace la vie éternelle, vie divine, libre et partagée, d’une intensité inépuisable, pour peu qu’en sa parcelle d’existence, chacun se sente appelé à laisser le Christ, et avec lui tous les hommes, défunts et vivants, ressusciter en lui, l’« éveiller » à la vraie Vie aujourd’hui.

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Colette Deremble

Colette Deremble est agrégée de lettres classiques, licenciée en théologie, docteur en art et archéologie (EHESS, 1989). Chargée de recherches au CNRS (en 1988). Professeur émérite à Paris X (en 1994). Autrice de nombreux livres dont « Jésus selon Matthieu. Héritages et rupture » (avec Jean-Paul Deremble), éditions Lethielleux, 2017.

  1. Jacques CLAVIER
    Jacques CLAVIER says:

    Comment entrer dans une compréhension « autre » ?
    Par la théologoumène
    Par les prolégomènes

    par le dualisme, à court terme
    par la dualité, à long terme

    par la différence, synchronique
    par le changement, diachronique

    par la dura lex sed lex, le Droit
    par la Soft law (Droit doux), la Convention

    Par l’entrée à Jérusalem
    sur une ânesse suivie de son ânon
    plutôt que sur un destrier.

    « Je ne suis invulnérable qu’au talon.
    Oui, tu es encore pour moi la destructrice de tous les tombeaux :
    Salut à toi ma volonté !
    Et ce n’est que là où il y a des tombeaux, qu’il y a résurrection. »
    (Friedrich Nietzsche)

    Mon talon d’Achille, c’est d’aimer.
    Or ma volonté, c’est d’aimer.
    Je suis donc invulnérable
    à l’endroit même où je suis vulnérable.

  2. Jean Verrier
    Jean Verrier says:

    Mon attente n’a pas tête déçue, merci pour ces cinq chroniques fondées sur une analyse fine et rigoureuse des textes bibliques, parfois dérangeante, mais qui respecte toujours avec délicatesse les représentations dont nous avons hérité. Ces cinq chroniques
    sont couronnées par la réflexion du 5 avril sur la Résurrection: “Vie éternelle individuelle ou survie de l’humanité?”

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