D

Dans le tiroir de Jean – épisode 8 –

Trois prières

Dans mon bureau il y a un gros tiroir où je plonge souvent. J’y ai déposé, sur des feuilles volantes, des copies de textes d’auteurs divers. Ces feuilles se sont comme sédimentées et forment une couche épaisse mais je les tourne et les retourne souvent pour qu’elles prennent l’air, l’air du temps, et parfois je vais chercher les plus anciennes, celles qui sont restées collées au fond du tiroir. Textes d’aujourd’hui, d’hier et de jadis, signés de noms connus et parfois textes anonymes, éclats, confidences, illuminations, prières, cris…

Ce n’est pas seulement le hasard qui a rapproché ces trois textes dans mon tiroir.

Le premier a pour auteur Yehudi Menhuin, merveilleux violoniste et chef d’orchestre, mort en 1999, fils de juifs ukrainiens émigrés aux États-Unis.
Le deuxième a pour auteur Halphen Leivick, poète yiddish (1888-1962).
Et le troisième, un déporté juif anonyme.

Yehudi Menhuin

À Toi que je ne connais pas et ne puis connaître, à Toi à qui je suis lié par l’amour, la crainte, la foi et l’ignorance, j’adresse cette prière :
Conduis-moi vers le meilleur de moi-même.
Aide-moi à ne jamais renoncer à l’exercice de la vie, celui qui consiste à protéger tous ceux qui respirent et l’air que nous devons respirer, tous ceux qui ont soif et l’eau qui désaltère, tous ceux qui ont faim et la nourriture qui rassasie.
Aide-moi à rester préparé pour affronter la difficulté, la douleur et l’imprévu, à me soucier des sourds et des aveugles, des estropiés et des paralytiques, des malades et des affligés.
Aide-moi à être la digne sentinelle du corps que tu m’as confié. Ma vie est comme un objet d’art, confiée à ma garde provisoire, pour être rendue au cycle terrestre afin que d’autres vies puissent se perpétuer.
Pour tout cela, que ta volonté soit faite.

Cité dans Prières glanées d’Alain Houziaux, repris dans Panorama d’octobre 2009.

Halphern Leivick

Je ne sais à qui la porter, ma prière, mais je la porte.
Je ne sais à qui la dire, ma prière, mais je la dis.

Elle se glace sur mes lèvres, ma prière, mais je la porte.
Elle prend vie dans un éclat de colère, ma prière, mais je la porte.

Elle se brise tant de fois, ma prière, mais je la porte.
Elle s’élève sur six millions de tombes, ma prière, mais je la dis.

Elle sombre et se lamente, ma prière, mais je la porte
vers celui dont je ne sais s‘il entend ma prière, mais je la dis.

Anonyme

Seigneur, quand tu reviendras dans ta gloire, ne te souviens pas seulement des hommes de bonne volonté. Souviens-toi également des hommes de mauvaise volonté.
Mais ne te souviens pas alors de leurs cruautés, de leurs sévices et de leurs violences. Souviens-toi plutôt des fruits que nous avons portés à cause de ce qu’ils ont fait.
Souviens-toi de la patience des uns, du courage des autres, de l’humilité, de la fidélité qu’ils ont réveillées en nous.
Et fait, Seigneur, que ces fruits que nous avons portés soient, un jour, leur rédemption.

Trouvé dans un camp d’extermination, sur un papier d’emballage.

Image par Mauistik de Pixabay
CategoriesCoup de cœur
verrier.jeanetmarie
Jean Verrier

Universitaire à la retraite (Paris 8, département de littérature, de 1970 à 2000). Membre du CPHB, devenu le Centre pastoral Saint-Merry, depuis 1981. Sept petits-enfants.

  1. Bernard FAUCONNIER
    Bernard FAUCONNIER says:

    Merci ! Ces prières sont inouïes, magnifiques, si pleine d’Espérance.
    Que tous les hommes les formulions, que Dieu les entende…

  2. Jacques Clavier
    Jacques Clavier says:

    Que ces rédempteurs ne viennent jamais à nous manquer ! « Dieu est le grand silence de l’univers, et l’être humain le cri qui donne un sens à ce silence ». (José Saramago)

Laisser un commentaire (il apparaitra ici après modération)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.