Depuis mon dernier billet, il y a trois semaines, les familles israéliennes ont enterré leurs morts assassinés avec sauvagerie par le terrorisme en essayant de faire leur impossible deuil, les deux cent trente otages et leurs proches attendent toujours dans une angoisse indicible, les Gazaouis par milliers, hommes, femmes, enfants, disparaissent sous les décombres sanglants, victimes d’une stratégie militaire aveugle puisque sans véritable but de guerre.
Entre-temps, je suis tombé sur un petit texte que je vous livre pour une prudente mais éclairante lecture comparée :
Tout ce jour du dimanche 24 août (1572) fut employé à tuer, violer et saccager, de sorte qu’on croit que le nombre de tués à jour-là dans Paris et ses faubourgs surpasse 10 000 personnes tant seigneurs, gentilshommes, présidents, conseillers, avocats, médecins, procureurs, marchands, artisans, femmes, filles qu’enfants et prêcheurs. Les rues étoient couvertes de sang, les portes et entrées du palais du roi peintes de même couleur mais les tueurs n’étoient pas encore saoulés.
Publié par un auteur huguenot anonyme environ dix-huit mois après les faits, il traduit une réaliste sidération face à un acte atteignant un degré de barbarie quasi impensable alors que les massacres étaient déjà pourtant monnaie courante. Quelle que soit leur condition sociale et sans considération pour leur âge, ce sont probablement 3 000 protestants à Paris, 10 000 dans toute la France, qui furent passés au fil de l’épée en peu de jours.
Rappelons juste quelques éléments qui pourraient entrer en étrange résonance avec notre actualité. Le jeudi 21 août 1572 avait été un jour de réjouissances, de fêtes, de danses à l’occasion du mariage entre le protestant Henri de Navarre (le futur Henri IV) et la catholique Marguerite de Valois (la reine Margot, fille d’Henri II et de Catherine de Médicis). D’où la présence de nombreux seigneurs réformés à Paris. Le vendredi 22, l’un des plus prestigieux d’entre eux, Coligny, était victime d’un attentat. Le « parti » protestant désigna immédiatement le clan ultra catholique des Guise, sans preuves mais non sans raisons, alimentant de part et d’autre la peur d’un complot imminent. C’est dans ce contexte de crise que, le 23 au soir, le prévôt des marchands de la capitale reçut l’ordre de boucler la ville, d’empêcher toute traversée de la Seine et de mobiliser la milice bourgeoise. Le demain 24, pourtant le « saint jour du Seigneur » ! les troupes de Guise et celles du roi Charles IX partent à la chasse féroce au huguenot dans tout Paris avant que les exécutions sommaires touchent plus tard d’autres villes françaises. Massacres perpétrés au nom d’une stratégie politique du pouvoir souverain difficile à suivre mais assumé puisque dès le 26 devant le Parlement de Paris, le roi déclarera que « ce qui est advenu l’a été par (mon) exprès commandement ».
Si la reconstitution chronologique des événements est assez claire, les témoignages contradictoires étalés dans le temps tout comme « leur interprétation idéologique » (Laurent Theis) ne rendent pas les choses toujours aisées. Il n’empêche. L’horreur et la cruauté des exécutions sans merci, la fureur acharnée des catholiques sur des corps ennemis déjà sans vie, tout ceci fut bien réel. Subsistent cependant plusieurs grandes questions qui renvoient insensiblement à ce qui se déroule sous nos yeux.
Comment en si peu de temps, ce déchaînement de violence aveugle a-t-il pu succéder à un temps de réjouissance ?
Comment s’est construite la décision d’État, donc politique, d’éliminer les « huguenots de guerre » ?
Peut-on y discerner une influence extérieure ?
Comment cela a-t-il dégénéré en massacres de masse ?
Comment ceux-ci ont-ils entraîné un nouveau cycle de violences et une longue rupture radicale entre les deux communautés ?
Même s’il faut toujours se garder des anachronismes et des comparaisons hasardeuses puisque les contextes ne sont jamais transposables et que les schémas mentaux diffèrent, il convient encore rappeler que près de trente ans après la Saint-Barthélemy, Henri IV imposera en 1598, et plus efficacement cette fois, un nouvel édit de pacification (le fameux édit de Nantes) afin que les membres des deux confessions chrétiennes puissent cohabiter. Décision que Louis XIV révoquera en 1685 au prétexte fallacieux de la disparition de la minorité huguenote du paysage social français.
Comme si l’espoir de paix puis les violences destructrices continuaient sans cesse de rythmer l’histoire tourmentée des hommes.