Après une présentation générale de l’ouvrage Histoire d’un malentendu : L’exclusion des femmes du sacré. Patriarcat, impureté, infériorité, par Gilbert Clavel (L’Harmattan), à retrouver ICI, en voici un aperçu plus linéaire.
Gilbert Clavel se place d’abord aux tout débuts de l’histoire, avec les premiers témoignages écrits dont nous disposons. Il commence par étudier les systèmes de représentation et de structuration sociale des sexes qui nous sont parvenus dans le bouddhisme, dans la Bible, dans le monde gréco-romain. On ne sait pas, certes, ce qu’il en était à la Préhistoire, mais les premiers témoignages écrits parvenus montrent que le sang spécifique qui s’écoule de la femme était alors déjà considéré comme impur et que les catégories du pur et de l’impur, du sacré et du profane, des interdits alimentaires, vestimentaires, sexuels, la confinaient déjà dans une situation d’infériorité, et par un cercle vicieux, d’exclusion.
Notre auteur s’est intéressé également à d’autres régions et à quelques exceptions : cette structure patriarcale[1] ou androcentrique[2] semble répandue au point que l’on peut considérer qu’elle est planétaire ou presque. Elle réussissait à se maintenir même quand les religions changeaient ou disparaissaient, et semble donc indépendante de celles-ci et plus vivace.
Certaines sociétés civiles, à grands efforts, tentent de rééquilibrer les composants de ce corps durci et ankylosé, tandis que l’Église-institution hésite à faire de même : pourquoi ce paradoxe ?
L’auteur se focalise ensuite sur les fondements de vingt siècles de discrimination des femmes dans notre civilisation dite chrétienne.
Moins intelligents que les auteurs de la Genèse, certains penseurs chrétiens avancent que la femme, dès sa création, est seconde, secondaire, accessoire, plus faible que l’homme auquel le serpent n’a pas osé se frotter, et qu’elle est responsable de la faute de son homme. Leurs arguments se construisent sur des contresens et des insuffisances dans les traductions de l’Écriture. Des interprétations tendancieuses font ensuite de la femme un autre diable. Saint Augustin les bétonne avec sa découverte du péché originel qui fait porter sur Eve une responsabilité transgénérationnelle et universelle. Le chantage au salut, imparable, présente alors la femme comme un appât de l’Enfer. Comme, après l’Antiquité et pendant longtemps, la philosophie et la religion ont fait cause commune, on trouve les fondements intellectuels de cette situation chez Thomas d’Aquin et ses successeurs. Un exemple ?
« Quoique la femme ne commette en effet pas de faute dans le fait d’avoir ses règles, elle doit cependant reconnaître qu’elle souffre de ceci à cause du péché originel et elle peut donc, par humilité, s’abstenir quelques temps des sacrements. »
Même la science (biologie, physiologie) avance diverses théories pour justifier ces obligations imposées aux femmes par les sociétés où elles vivent, la crainte et le mépris qu’elles suscitent. Bref, la femme serait un danger social, donc à contrôler et même à réprimer préventivement. D’autres fondements sont d’ordre encore plus matériel. Comme le corps de la femme lui-même est dangereux puisqu’il exerce un pouvoir sur l’homme, la société le contraint de mille façons (mariage contrat arrangé, voile, excision, enfermement, règles de lavage, de pureté, etc.).
C’est pourquoi des interdits vont se construire progressivement dans la religion dominante d’alors en Europe: le droit canon de l’Église s’enrichit d’articles qui imposent certes à tous et en particulier aux clercs des obligations sévères, mais qui en fait laminent méthodiquement les droits des laïcs et ceux des femmes plus que de tous autres.
Ainsi ce qui suit a-t-il une saveur bien spéciale pour nous qui le lisons aujourd’hui :
- Être baptisé par elles ? « Nous ne vous conseillons pas [le baptême par une femme] ; car il est dangereux ou plutôt méchant et impie. »
- Aider autant que les hommes dans les célébrations ? « Les choses divines ont subi un tel mépris que des femmes sont encouragées à servir aux autels sacrés, et que toutes les tâches confiées exclusivement au service des hommes sont exécutées par un sexe auquel ces tâches ne conviennent pas. »
- Être servantes d’autel comme les laïcs hommes ? « Les femmes doivent se rappeler leur infirmité et l’infériorité de leur sexe : par conséquent, elles doivent prendre garde de ne toucher aucune des choses sacrées qui sont liées au ministère de l’Église. ».
- Continuer leurs tâches comme avant, dans l’égalité avec les hommes ? « Dans certaines provinces, contrairement à la loi divine et aux dispositions canoniques, des femmes pénètrent d’elles-mêmes dans l’espace de l’autel et prennent les vases sacrées de manière impudente, elles présentent au prêtre les ornements sacerdotaux, et, ce qui est pire encore, plus indécent et inconvenant que tout cela, elles donnent au peuple le Corps et le Sang du Seigneur et font d’autres choses qui en elle-même sont indécentes. »
Au fur et à mesure que se construisent ensemble le sacré, le sacerdoce, les sacrements et la hiérarchie, les laïcs ne peuvent plus accéder à tout ce qui touche au sacré. Les interdictions visent toujours, aux extrêmes, les clercs les plus gradés en premier et, parmi les laïcs, avant tout, les femmes.
Ces prescriptions font ressortir en creux le portrait terrifiant de la moitié du genre humain. Le plus surprenant est de voir comment parfois ces victimes s’approprient la parole de la hiérarchie, l’écoutent et l’intériorisent avec cette sainte humilité typique de leur sexe, en la sublimant, pour ressembler à la Femme-Mère-Vierge-Epouse-Amie-Sœur-Sainte idéale qu’on leur dessine en Marie. Et pour ces nouveaux rites-là, « la généralisation de cette pratique vaut tradition ».
Mais cela ne s’arrête pas au Moyen-Age : sait-on bien que, en pleine guerre, le Droit canonique de 1917 prend le temps de déclarer :
« Les linges sacrés doivent d’abord être lavés par des hommes avant d’être manipulés par des femmes. » (art. 1306).
Et de nos jours, il arrive que le respect du « sacré » conduise à des retours de rituels pratiquant des catégorisations bien loin de l‘esprit de l’Évangile.
La dernière partie du livre concerne des périodes où la raison devrait l’avoir emporté aisément dans la société. Notre sociologue traite en effet de périodes proches ou actuelles : les deux ou trois derniers siècles. Il précise, dans la société civile, le fossé creusé entre deux tendances, la dichotomie entre les beaux discours et les pratiques, les épisodes de la lutte pour faire advenir des changements et aboutir à de la cohérence.
Suspense : culturellement, comment ces « mineures » sortiront-elles de leur propre ignorance et de celle où on les cantonne ? Arracheront-elles le droit d’être instruites ? Le parti-pris du langage (« le masculin l’emporte car il est plus noble »), les inégalités professionnelles, l’ostracisme littéraire, leur invisibilisation dans les sciences, arts et lettres, l’ostracisme sportif qui les frappe… Dans quel sens la politique fera-t-elle pencher la balance ? 1789, le Code napoléonien, 1848 : petits pas et faux espoirs. C’est en 1938 qu’il y a enfin un déclic politique et juridique : l’homme reste le chef de famille, mais la femme a le droit d’avoir une carte d’identité et d’ouvrir un compte en banque ! Allez lire le reste directement dans l’ouvrage…
Le XXème siècle voit, cahin-caha, une émancipation des femmes, bien ralentie par ces références à la Tradition que nous évoquions au début de cette présentation. Vatican II ouvrait des pistes qui ne sont pas très fréquentées !
Gilbert Clavel en fait ici justice : il remet les pendules à l’heure, et rectifie bien des erreurs qui ont conduit à la situation des trois ou quatre derniers siècles – ce que certains appellent la Tradition, voire la Tradition apostolique, avant que d’autres dans l’Église entreprennent, sans déjuger l’Église-institution, un mouvement qui, selon nous, se réaligne sur l’Évangile pour notre époque.
Sur le deuxième volume de Gilbert Clavel, Femmes et Église, sortir des malentendus de l’histoire, lire ICI
[1] patriarcal : 1 qui place le père comme autorité et référence.(grec : pater, le père ; archè : commencement, commandement) 2 Qui rappelle les mœurs des patriarches de l’Ancien Testament.
[2] androcentrique : qui se place du côté de l’être humain en tant que masculin ; qui a pour référentiel la pensée considérée comme masculine. (grec : anèr, andros : 1- l’homme de sexe masculin, le mâle ; 2 le mari. kentron : le centre.)