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Une lecture non sexiste de la Bible

Dans le cadre des rendez-vous « Osez aussi l’Église au féminin », organisés par la Commission d’Études sur la Place des Femmes dans l’Église (CEPFE) les troisièmes mercredis du mois, nous nous sommes retrouvés une vingtaine ce soir-là dont un bon tiers de participants de Saint-Merry Hors-les-Murs pour écouter Geneviève Decrop, sociologue, membre de la CEPFE, nous présenter son livre : Dieu sans confession : Pour une lecture non sexiste et non religieuse de la Bible (éd Vérone).

En préliminaire, une question est posée qui peut traverser tous les rendez-vous de cette série et qui est au cœur des préoccupations de la CEPFE :  le salut de l’Église passe-t-il par la révolution des femmes ? Question à laquelle Geneviève Decrop répond : oui, s’il s’agit d’une révolution intérieure des femmes. La foi lui a été transmise par des femmes : sa mère, sa grand-mère, une religieuse institutrice, avec des valeurs qui la structurent encore ; mais sans la moindre réflexion ni aucune prise de conscience de la condition des femmes. Elle a été éduquée à ce questionnement d’émancipation à l’extérieur de l’Église, par ses études, par le monde laïc et républicain ! Elle a lu la Bible  (on parle ici surtout du Premier Testament) pendant des décennies ; il y a dix ans, elle l’a relue une nouvelle fois avec, en tête, une question précise : quel est le rapport du monothéisme avec la violence et avec le patriarcat ? Elle a alors redécouvert un certain nombre de choses qu’elle a voulu écrire. Mais quelle légitimité avait-elle pour écrire, n’étant ni bibliste, ni historienne ?
Elle s’y est autorisée, ainsi qu’à publier, avec deux convictions :

  • les textes de la Torah ne s’adressaient pas aux théologiens et aux spécialistes mais aux femmes et aux hommes de ce temps ; donc cela valait le coup d’écrire pour aider à vivre les femmes et les hommes d’aujourd’hui.
  • un sentiment d’urgence et le désir très fort de ne pas laisser la Bible aux mains des fondamentalistes qui en font un usage immodéré, démesuré lui rappelant un verset de Matthieu (11, 12) tellement d’actualité : « depuis Jean le Baptiste jusqu’à présent, le royaume des cieux est assailli avec violence et ce sont les violents qui se l’arrachent ».

Elle nous donne les grandes lignes de force, les fils qu’elle a tirés de sa lecture.

Pour G. Decrop, le texte n’est ni patriarcal, ni misogyne. En se débarrassant des lunettes dogmatiques, il serait même une subversion en filigrane du patriarcat. Le rapport social entre hommes et femmes développé dans la Bible n’est pas un rapport de domination sexiste. La promesse divine passe toujours par des couples qui s’aiment (Abraham/Sarah, Isaac/Rebecca, Jacob/Rachel) et qui sont comme des piliers de la Bible. Et les personnages mis en avant ne sont pas les « gros guerriers brutaux » mais souvent les cadets (Jacob, David), les femmes stériles (Sarah, …), les petits, les non violents…

L’échelle de Jacob, Bible Historiale, XIVe s.,
Bodleian Library, Oxford.

Le Dieu d’Abraham et de Moïse n’est pas un despote. Entre Dieu et les Hommes, il y a toujours un espace, une négociation possible, pas un rapport de soumission. Oui, l’Homme existe et se pose face à Dieu, il n’est pas soumis ; même s’il est en colère, Dieu finit par entendre et revient vers l’Homme. Ce qui est proposé n’est en rien une théocratie (ce qui est très fort en ce moment). Il y a une véritable autonomie de l’Homme. Dans le passage du « sacrifice d’Isaac », Abraham finit par sortir de la vision sacrificielle et d’une attitude soumise à Dieu. De même, dans l’épisode du combat de Jacob avec Dieu, Jacob en sort grandi, béni par Dieu et pour marquer cela, il change de nom : de Jacob, il devient Israël ; il élargit sa conscience, même s’il garde une trace de sa lutte, comme une mémoire vivante.

Dieu, est l’objet d’une quête, une quête infinie, ce n’est pas une identité, une entité, une consistance. C’est très important que la Bible refuse de prononcer le tétragramme et nomme Dieu de plein de noms différents. Car dès qu’on fige Dieu dans une identité (cf Credo par ex.) on entre dans une démarche d’exclusion et de violence. Salomon, dans son magnifique discours de la dédicace du Temple qu’il vient de construire dit que Dieu est « brouillard, ni la terre, ni les cieux ne peuvent le contenir » et que nous n’avons que sa Parole sur une pierre gravée. C’est fondamental de faire de Dieu cette quête infinie.

Photo Pawel Czerwinski Sur Unsplash
Photo Pawel Czerwinski Sur Unsplash

Reste une question inachevée, une énigme : la question de la violence qui est posée par la Bible, dès le début, avec Caïn et Abel. Un des manques du christianisme est de ne pas poser clairement cette question et donc d’y sombrer avec toutes les meilleures intentions du monde : l’histoire du christianisme a été incroyablement violente. Cette question doit être toujours remise en travail.
Ce qui est très fort aussi, c’est que la Bible est une collection de textes avec de multiples statuts : poèmes, récits, histoires, mythes, contes…qui ne donnent jamais de réponses, mais qui, aux questions re posent d’autres questions ou font des détours – comme le font les contes – et c’est ce qui fait que tout le monde peut la lire, car ce n’est pas un traité de philosophie.
C’est ce que nous faisons des textes qui crée de la violence dans notre société.

À une question sur la difficulté à dire le « Notre Père » quand on a eu un père violent et mal traitant, G. Decrop répond qu’il est souhaitable que chacun.e puisse nommer Dieu comme il l’entend et que si on ne le sent pas, on puisse ne pas dire le « Notre Père », surtout s’il fait appel à quelque chose de douloureux. Dieu n’est pas un père au sens biologique du terme. Dieu peut être une lumière dans le brouillard, mais il y a des tas de métaphores pour dire Dieu et certaines images (entrailles maternelles, tendresse, …) qui sont très féminines ;
De plus, s’appuyant sur les rapports qu’ont les juifs avec le Texte, sans cesse interrogé, interprété, discuté, et ainsi délivrés de ce Dieu massif, tout puissant, qui nous pèse sur les épaules, nous pouvons prendre un peu de distance avec cela et aussi réécrire ; il en est de même avec le Credo, qui souvent n’est pas dit dans notre communauté (car beaucoup de mots sont abscons) mais qui est réécrit pour certaines occasions.

Cette lecture du Premier Testament nous fait découvrir, à travers un certain nombre de personnages, une suite d’actes de libération. En bravant les codes sociaux, ces récits se révèlent être une source d’inspiration pour remettre en question les pouvoirs établis et les relations de domination. Ce texte, bien plus qu’une révélation, est une révolution persistante contre les enrôlements idéologiques et une célébration de la liberté. Un texte inépuisable pour les chercheurs de sens. Et pour rester sur cette idée d’audace qui préside à ces rendez-vous, faisons nôtre cette phrase du livre :

“quand je quitte le confort des vérités garanties par le dogme, j’entre dans le monde mouvant et incertain du discernement qui me convoque absolument et sans répit.”

Alors, osons l’inconfort, osons déranger par une lecture renouvelée de la Bible !

Bernadette Capit


Les prochaines dates connues de ces rendez-vous de 20 h 30 à 21 h 30 (liens sur le site de la CEPFE) :

  • Le 18 février avec Ignace Berten, dominicain et théologien belge qui propose une réflexion à propos du modèle concret d’Église et du type de fonctionnement à imaginer pour répondre aux besoins de vie de foi des communautés et à la question urgente de la place des femmes.
  • Le 19 mars avec Gilbert Clavel, docteur en sociologie et licencié en théologie, pour son livre Femmes et Église : sortir des malentendus de l’Histoire, éd. L’Harmattan, juin 2024.
  • le 16 avril avec Sylvaine Landrivon, théologienne, co-autrice avec Anne Soupa du livre Marie telle que vous ne l’avez jamais vue, éd. Salvator, 2024 et autrice du livre La Part des femmes : relire la Bible pour repenser l’Église, éd. de l’atelier)

  1. Jean-Luc says:

    Merci Bernadette de ta présentation de ce livre. Elle invite bien tout le monde à réouvrir la Bible comme un lieu de recherche, de questionnements et d’ouvertures à la multiplicité des réponses sur notre vie humaine, loin des dogmatismes ou des seules réponses estimées valables par des spécialistes.

  2. Pingback:14 février 2025 | Synode quotidien

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