Le 14 janvier dernier, lors d’une soirée Grand Témoin à la Maison des réfugiés, le Réseau Chrétien Immigrés a donné la parole à Paolo Artini, représentant en France du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). François Josse en a relevé l’essentiel.
Membre du HCR depuis 1993, en poste en France depuis 2018, Paolo Artini a précédemment représenté le HCR entre autres en Mauritanie, au Koweit, à Sarajevo.
Il introduit son propos par une photo de la signature de la Convention de Genève en 1951 (ci-desous), illustrant par là le caractère visionnaire des personnes qui ont contribué à sa rédaction. La Convention n’est en rien vieillotte comme on peut l’entendre, puisqu’elle définit deux notions-clés, celle de réfugié et celle de non-refoulement. Une des tâches du HCR, fondé en 1950 et initialement prévu pour ne durer que trois ans, est de veiller à l’application de la Convention, son rôle étant à la fois d’assurer une protection et de promouvoir des solutions à long terme (favoriser l’inclusion socio-économique des réfugiés dans le pays d’accueil, aider au retour volontaire ou à la réinstallation dans d’autres pays).

Quelques chiffres
2023-2024 ont été des années compliquées pour le HCR, le nombre croissant de crises sans solution amenant une forte augmentation du nombre de personnes déplacées.
Le rapport sur les tendances mondiales établi chaque année en juin relevait à mi-2024 :
- environ 122,6 millions de personnes déplacées de force, ce qui revient à 1 personne sur 67 dans le monde, chiffre en constante augmentation depuis 12 ans, qui se répartissent en 43,7 millions de réfugiés, 72,1 millions de déplacés internes et 8 millions de demandeurs d’asile.
- 69 % des personnes déplacées de force sont accueillies dans des pays voisins
71 % le sont dans des pays à revenu faible ou intermédiaire
21 % le sont dans des pays les moins avancés
et pour 66 % elles sont dans cette situation depuis plus de cinq ans.
Textes
Qu’il s’agisse de la Déclaration de New-York (2016), du Pacte mondial sur les réfugiés (2018) ou Pacte mondial sur les migrations (2018, dit pacte de Marrakech), ces textes internationaux visent 4 objectifs :
– alléger la pression sur les pays d’accueil
– renforcer l’autonomie des réfugiés
– élargir l’accès à des solutions dans les pays tiers
– favoriser le retour dans les pays d’origine
À noter aussi le Forum mondial sur les réfugiés qui se réunit tous les 4 ans (première édition en 2019), celui de 2023 a été l’occasion d’engagements de nombreux acteurs.
Parmi les préoccupations majeures actuelles du HCR
Routes méditerranéennes
2023 : 270 000 arrivées par la Méditerranée, 4 110 morts
2024 : 188 900 arrivées estimées, 2 600 morts
En l’absence de volonté politique des États de gérer ces départs, seules sont présentes des associations telles que SOS Méditerranée.
Royaume-Uni
Depuis 2019, très forte augmentation des traversées en « small boats ».
2023 : 29 000 personnes, 27 décès
2024 : 33 000 personnes, 86 décès
2025 : 1 décès enregistré au 14 janvier
Le HCR considère qu’il ne faut pas regarder le problème uniquement comme celui du contrôle derrière la frontière française, qu’une réponse humanitaire est insuffisante, et qu’il faut prendre compte les raisons de départ : la situation dans les pays d’origine (conflits, changement climatique), des pays d’accueil qui sont également à risque.
Soudan
Depuis 2023, 12 millions de personnes déplacées (8,6 millions de déplacés internes, 3,1 millions en dehors du pays). Plus de 400 000 Sud-Soudanais (qui s’étaient exilés au Soudan) sont retournés au Soudan du Sud à cause de la guerre. Les pays d’accueil : Soudan du Sud, Tchad, Égypte, Ouganda, Éthiopie.
Syrie
Le HCR est présent en Syrie, où actuellement 16,7 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire ; 4,8 millions de réfugiés syriens dans les pays limitrophes (Liban, Turquie, Jordanie, Irak) et en Égypte. Depuis la chute du régime Assad le 8 décembre 2024, 125 000 réfugiés syriens sont rentrés en Syrie, un des problèmes rencontrés est l’accès aux services essentiels.
République démocratique du Congo
6 millions de déplacés internes, 1,1 millions de réfugiés (Ouganda, Tanzanie, Rwanda, Burundi) et 500 000 réfugiés en RDC même. 25 millions de personnes ont besoin d’une assistance humanitaire.

Activités du HCR en France
Le HCR est en liens constants avec l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et la CNDA (Cour nationale du droit d’asile). Son rôle est de :
> soutenir une procédure d’asile efficace et de qualité (pour les audiences collégiales par ses 180 juges assesseurs) ;
> promouvoir l’inclusion socio-économique des réfugiés et leur participation à la réflexion sur les solutions à apporter ;
> renforcer les voies légales d’admission (le programme Univi’r facilite l’accès au cursus universitaire de 3 000 étudiants par an) ;
> assurer une veille de la situation des demandeurs d’asile et des réfugiés ;
> mener des actions de plaidoyer ;
> veiller à l’application du droit d’asile ;
> informer, sensibiliser (interventions dans les écoles, dans les collèges avec Inter’Act).
Questions/ Réponses
Q Existe-t-il une définition homogène au niveau de l’ONU du rôle du HCR dans tous les pays ?
R La situation de chaque pays étant différente, le rôle du HCR l’est également. Paolo Artini a personnellement connu les camps de réfugiés en Mauritanie, les déplacés internes en Bosnie. Les différences de situation tiennent aussi aux propositions des États : quand le Royaume-Uni a projeté l’envoi de demandeurs d’asile au Rwanda, sa collègue a dû réagir.
Q Quid des réfugiés syriens qui voudraient rentrer en Syrie ?
R Des États comme la Turquie ont déjà prévu des possibilités de « go and see visits » depuis décembre 2024. Le HCR en organise aussi pour d’autres pays. En Europe, quel mécanisme possible ? Paolo Artini espère que la France donnera suffisamment de garanties pour que ce type de retour ne fasse pas perdre le statut de réfugié.
Par ailleurs, si la suspension des décisions d’admission au statut depuis le 8 décembre peut être comprise, cela ne doit pas conduire à des rejets systématiques.
Q Quelle est la position du HCR sur la généralisation du juge unique ?
R L’UNHCR s’est exprimé en faveur de la collégialité qui contribue à la qualité de la procédure. Le président de la CNDA est attaché à la collégialité à Montreuil et dans les chambres territoriales. De plus, il reste toujours la possibilité pour le président de demander la collégialité en présence de cas difficiles, et pour le moment la collégialité demeure. Enfin, le HCR a passé un accord avec la CNDA pour la formation des juges assesseurs. Paolo Artini n’a pas d’inquiétude quant à un décret qui prévoit la nomination des juges du HCR par le Conseil d’État puisque dans la situation actuelle le HCR propose des personnalités qualifiées et le Conseil d’État entérine leur nomination.
Q Les personnes concernées sont-elles présentes lors de la procédure devant l’Ofpra ?
R Bien sûr, il en va de la crédibilité des décisions de l’Ofpra, ce qui suppose une capacité d’écoute, la connaissance du pays d’origine et la compréhension de situations traumatiques.
Q Où en est l’Italie avec l’externalisation de la procédure ?
R La situation italienne est différente de celle projetée au Royaume-Uni qui consistait en une externalisation complète des obligations de l’État. Dans le cas italien avec l’Albanie, ce sont des juges italiens, sur le territoire albanais, qui examinent les demandes. Ils ont d’ailleurs annulé les premiers dossiers qu’ils ont eu à connaître. La loi italienne prévoit que doivent être exclues de ce dispositif les personnes vulnérables, les enfants… Le HCR a été auditionné au Parlement.
Q Quid en cas de conflit entre le HCR et un État ?
R Sauf à en être exclu par un pays – ce qui est déjà arrivé –, le HCR maintient sa présence. Ainsi, le HCR demeure présent en Afghanistan par exemple.
Q Quid en cas de non-respect de la Convention de Genève par un État ?
R Le HCR n’a pas de pouvoir contraignant, il ne peut infliger de sanction pour violation de la Convention et ne peut œuvrer que par le dialogue, l’article 35 de la Convention lui confie une tâche de surveillance de son application.

Q La France a-t-elle encore les moyens de son asile ?
R La réponse est positive. Les pays qui accueillent le plus sont des pays pauvres. Un bon système d’accueil est celui qui rend les personnes autonomes plus rapidement, en conséquence l’État dépense moins. Au lieu de cela, on ne fait rien, et le coût final est plus grand.
Q Que faire face à l’impuissance de l’ONU ?
R Le Conseil de sécurité est paralysé par le droit de veto, les attaques contre l’UNRWA (Palestine) en témoignent aussi. On assiste à une instrumentalisation de la situation des migrants (cf. pressions de la Turquie sur l’Union européenne) alors qu’accorder l’asile doit être un acte neutre et non un acte politique hostile au pays d’origine. Pourtant c’est ce qui arrive (cf. Biélorussie/ Pologne, Turquie/ Grèce, Maroc/ Ceuta Melilla).
Le HCR documente les opérations de « push back », à terre comme en mer, pour pouvoir discuter avec les pays qui y procèdent, mais il n’a pas de pouvoir contraignant.
Un point positif est à noter dans le Pacte européen sur la migration et l’asile qui entend s’opposer à l’instrumentalisation des réfugiés par un nécessaire partage de responsabilité avec le pays du premier accueil.
Q Que faire face à l’augmentation du nombre de personnes déplacées ?
R La vision des migrants se dégrade en Europe, et le retour de Trump au pouvoir dans une semaine ne laisse rien augurer de bon. Sous sa première présidence, pas de réduction budgétaire du HCR, mais une baisse des réinstallations.
Le HCR connaît par ailleurs des problèmes de financement, les besoins étant largement supérieurs aux moyens reçus (pour la Soudan ses financements correspondent à 20 % des besoins), ce qui veut dire moins d’accompagnement, moins de personnel.
Q Comment sont définies les priorités du HCR ?
R Sur la base du Pacte mondial sur les réfugiés, ses priorités sont dictées par les situations concrètes (ex. actuellement, des milliers de personnes au Soudan et au Tchad sont à accueillir, abriter et soutenir psychologiquement).
Q Le HCR a-t-il été auditionné pendant les négociations sur le Pacte européen sur la migration et l’asile ?
R Durant cette phase, le HCR a transmis ses commentaires à la Commission européenne, l’important est maintenant d’observer sa mise en œuvre. Ce pacte n’est pas parfait, le HCR se préoccupe de son application, notamment par rapport aux détentions et aux opérations de « push back ».
Françoise Josse, pour le RCI
