Un débat organisé par Saint-Merry Hors-les-Murs en visio, le 6 février dernier, autour du thème : « Les trentenaires et l’Évangile : quelle espérance, quels projets ? », a réuni Thérèse du Sartel, membre du café « Dorothy » ; Marie Renollet, formatrice et accompagnatrice des maîtrises Scouts et Guides de France ; Guillaume Dezaunay, auteur du Christ rouge ; et Samuel Grzybowski, fondateur de Coexister et directeur de CitéCoop (coopérative des lieux urbains alliés des transitions). Nous vous en proposons quelques échos.
Les « trentenaires » invités pour ce débat étaient issus de cultures familiales diverses : telle famille très impliquée dans l’Emmanuel et plutôt politiquement conservatrice ; telle autre à la fois très priante et très militante à gauche, – «un œil sur l’Évangile, et un sur le journal» – ; une autre encore avec un père athée et sans embrigadement des enfants dans une éducation religieuse (mode de fonctionnement qu’elle compte poursuivre avec ses propres enfants) ; et tous les quatre sont passés par l’expérience scoute, mais pas forcément dans les mêmes mouvements.
Chrétiens dans toutes les dimensions de la vie
Pour Thérèse, c’est un Erasmus en Turquie qui lui ouvre les yeux sur les inégalités Nord-Sud, et les mots du pape François, qui l’ouvrent aux conséquences politiques clairement ouvertes dans l’Évangile, d’où son engagement militant, politique et social, au sein du café tiers-lieu Dorothy.
Samuel, biberonné à la fois aux manifs en famille et au Mouvement Eucharistique des Jeunes, fondateur de Coexister à seize ans, n’a longtemps pas compris comment on pouvait concilier christianisme et vote à droite. Mais son critère sur l’acceptabilité des luttes politiques reste le respect de la dignité de la personne humaine (qu’il s’agisse d’un patron contesté, ou de lois spécifiques aux personnes handicapées sur l’avortement).
Marie, seule de sa fratrie à avoir demandé la confirmation après avoir été saisie par une expérience à Lourdes, a choisi de s’engager chez les scouts de France, mouvement d’Église ouvert à tous. Elle estime vivre sa foi plutôt par ses actions, mais sa préparation chrétienne au mariage l’amène à de nombreux questionnements.
Guillaume est fasciné par les appels à la justice de l’Évangile, qui propose clairement comme programme l’amour des exclus. Son éducation catholique avait développé chez lui une sorte d’imaginaire de la foi, mais en lisant les Pères du désert il comprend qu’il doit oublier ces images construites de Dieu, pour accéder à une foi personnelle et joyeuse, en se nourrissant directement de l’Évangile ; avant que la découverte des anarchistes russes, puis de la doctrine sociale de l’Église et des mouvements comme l’Action Catholique (MRJC, JEC, ACE) ou Anastasis ne lui ouvrent l’aspect politique de la foi, qui ne doit pas se reposer uniquement sur la charité individuelle, mais s’attaquer aux structures même des injustices économique et sociale, par un engagement actif.
Pour Guillaume, participer à la politisation permet une prise de conscience des enjeux collectifs.
En tant que professeur de philosophie, et intervenant en EMC – Éducation Morale et Civique, il essaie d’appliquer la méthode de l’action catholique « voir, juger, agir » par thèmes avec ses élèves.
Il participe également à un groupe de partage dans son quartier sur des thèmes variés : médias et démocratie, l’impérialisme en Afrique… Il trouve les chrétiens peu formés, et recommande le podcast « Soif de justice » – qui sera en ligne début mars (nous mettrons le lien dans le Flash).

Quelle place pour la vie spirituelle ?
Samuel témoigne d’avoir toujours eu le sentiment d’une présence spirituelle constante, ainsi qu’une vie de prière personnelle (d’ailleurs encouragée par sa compagne, elle-même athée). Il a été déçu par la CCBF, plus occupée par la place des laïcs que par un engagement pour la justice. Il pense important de faire accepter la dimension spirituelle dans le combat, au-delà des buts de réussites humaines. Il croit en l’importance de l’amour dans les liens interpersonnels. « L’humain est un être singulier, il a une âme, c’est lui qui est garant de l’harmonie dans le monde ».
Marie se sent plutôt en questionnement spirituel. Sa vie de foi est plutôt vécue en collectivité avec les scouts, en actions et missions (comme les maraudes). Elle se trouve en difficulté pour faire le lien entre sa spiritualité et ce qu’elle voit dans certaines paroisses : des discours parfois proches de l’idéologie du RN face aux difficultés sociales, là où son expérience de conseillère principale d’éducation en ZEP lui a révélé une toute autre réalité, ou des positionnements intransigeants sur des questions de société (avortement, vie de couple…), alors que les Scouts et Guides de France lui ont appris le questionnement plutôt que « le discours tout fait ».
Thérèse trouvait que Dieu était peu présent dans la vie quotidienne au Dorothy, où on parlait plus de la CIASE (très importante par ailleurs !) que de Jésus. Et elle a contribué à y introduire une prière commune, aussi importante que la prière personnelle, pour « ne pas réduire Jésus à des idées pour lesquelles se battre ». Le monde va mal, nous en sommes abattus, et nous avons donc vraiment « besoin de la louange, car Christ nous sauve tous et chacun. »
À Marie qui évoque la traversée des épreuves personnelles, comme l’entourage par ses amis lors d’un deuil, et l’importance de l’amour de Dieu dans la prière, Guillaume répond par saint Paul : « l’espérance ne déçoit pas », car « elle est centrale dans le tragique, elle est la présence de l’amour ». Il prie régulièrement avec ses colocataires, et cite une phrase affichée sur leur mur : « Soyez entre vous plein de générosité et de tendresse ».

Qu’en est-il de l’Église ?
Samuel estime ne rien attendre de l’Église, ce qui lui a évité l’amertume et la déception de ses parents à l’égard de l’institution. Lui-même se sent très en colère, chrétien mais pas catho face à « des escrocs qui ont pris le pouvoir » (sic). Il préfère une lecture littérale de l’Évangile, plutôt que symbolique comme celle de la génération précédant la sienne : si Dieu a créé le monde, il peut bien faire des miracles. Lui-même espère souvent à contre-courant de la désespérance des autres, y compris en politique, car « l’espérance doit être contagieuse, virale ! » Samuel évoque quelques points de sa zone de désespérance : les prêtres génocidaires du Rwanda, les chrétiens d’extrême droite… Il ne s’agit pas de les côtoyer, mais de les combattre, par le vote.
Là où Marie pointe les difficultés du dialogue entre cathos de gauche et de droite, et la difficulté d’être en lien avec d’autres mouvements scouts qui pensent trop différemment leur foi et leurs valeurs, – « où veut-on emmener les générations futures ? » -, Thérèse trouve qu’on présente la société de façon très polarisée, mais qu’en pratique on est amené à rencontrer toutes les opinions. Il y a urgence à débattre, alors que l’extrême droite matraque sur tous les réseaux. L’Église lui a permis de rencontrer des laïcs joyeux et responsables dans le cadre de l’Emmanuel, l’eucharistie la fait vivre, et elle est fan du pape François !
Guillaume, quant à lui, pointe son rapport irrémédiablement conflictuel aux intégristes, à partir de deux réalités : un risque de perversion totale du christianisme, s’il devient une religion close pour protéger une société ; et l’utilisation du sacré dans le christianisme identitaire pour cacher l’absence du véritable culte que devrait être celui de l’amour et de la justice, car le seul sacré, c’est Mathieu 25 : « ce que vous avez fait au plus petit, c’est à moi que vous l’avez fait ». Guillaume, sur ces deux points, est assez inquiet de l’évolution de l’Église catholique.
À la question sur la vie communautaire et la communauté ecclésiale de référence de nos participants au débat, Guillaume évoque la paroisse voisine, où ont été installés des partages d’Évangile très enrichissants autour d’un repas convivial ; il souhaiterait une liturgie simplifiée, type Taizé, et plus participative. Les membres du Dorothy se retrouvent également à la paroisse locale, où ils arrivent à faire le lien avec la vie communautaire du Dorothy, et qui du coup n’est pas impersonnelle pour eux. Pour Samuel, la foi est affaire de relation, pas d’appartenance, et il n’y a qu’à Taizé qu’il se sent vraiment chez lui.
Guy Aurenche a conclu ces échanges particulièrement riches et émouvants par une envolée en forme de louange qui reprenait quelques expressions marquantes de ce débat, dont vous pouvez retrouver l’intégralité sur YouTube grâce au lien ci-dessous.
Quelques échos de « l’échange d’après-débat » du 10 février
Une vingtaine de “dinosaures heureux” d’échanger leurs ressentis se sont retrouvés pour prolonger le débat.
Il s’agissait bien sûr de “quelques” trentenaires, invités sur d’autres critères que la représentativité statistique de leur génération, et non “des” trentenaires en général.
Ce qui a été très apprécié :
- Intériorité et engagements : l’aller-retour entre engagements et foi chrétienne, la place du sacré dans leur vie et celle de la société
- La simplicité des propos, le “non formatage” et la diversité entre les intervenants
- Les repères exprimés autour de la dignité de la personne, l’idée de justice
- La présence de la prière dans leur vie, l’importance de lieux comme Taizé
- Une rencontre avec des guetteurs de sens très différents de nous, même s’ils se posent les mêmes questions ; l’absence d’obsession autour de la question Église
- Une interpellation sur la manière de vivre la foi d’une façon décomplexée
- Mariage entre simplicité et une certaine radicalité
- « J’ai retrouvé chez certains les questions de 68 »
Des questions pour nous :
- Aller vers eux, ou les inviter chez nous ?
Tout simplement créer des occasions régulières de rencontre gratuite ? - Quelle est notre propre idée sur ces « jeunes » que nous enfermons dans une image,
une attente, un remords (qu’avons-nous fait de nos enfants ?) - Comment Saint-Merry Hors-les-Murs peut-elle prendre sa place dans un réseau avec cette génération ? Ces trentenaires ont une autre idée de la place du groupe (communauté)
dans leur vie.
>>> Pour retrouver le débat en ligne, cliquer ICI