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Interpelé, on me dit comme un reproche : ne réduis-tu pas Jésus à n’être qu’un humaniste ?
Parler de Jésus homme parmi les hommes et pour les hommes, serait-ce réduire le christianisme à un humanisme ? Et d’ailleurs, s’agirait-il d’une réduction pour le christianisme de n’être qu’un humanisme ? Ne serait-ce pas plutôt son plus beau titre de gloire ? Sa plus grande fierté ?
En parlant de Jésus et de sa dimension humanisante et réformatrice du monde, suis-je en train de réduire le christianisme à un soin de l’homme ? Est-ce rejoindre l’humanisme sans Dieu de Nietzsche, de Sartre, des existentialistes, et de tant de nos contemporains ? Est-ce présenter un Jésus sans Dieu que de parler de Jésus pleinement homme, et homme jusqu’à sa vie assassinée pour cause de fidélité à sa vision du monde, vision en rupture avec la gestion des religieux de son temps ? Est-ce éliminer la possibilité d’un au-delà de l’homme, …ou s’agit-il d’un Jésus complètement du genre humain, inspiré, porté par l’Esprit ?
Dans mon itinéraire actuel, au terme d’un long cheminement dans l’Église catholique, ma découverte, et ma joie, c’est de prendre conscience que ce Jésus auquel je me réfère depuis tant d’années est quelqu’un de bien terrestre, de bien de notre monde, sans vouloir le faire venir d’un ailleurs. Toutefois, je le découvre “habité”.
Ses compagnons laissent entrevoir chez lui une intense vie intérieure, ressourcée dans le recueillement et de nombreux temps d’isolement. Lui -même en témoigne quand il évoque cet “autre profond”, ce plus que lui-même, qu’il appelle “Père”. Tant par ses paroles que par ses gestes d’humanité, Jésus apparaît exceptionnel, réformateur possible de la vie de chacun, utopiste réaliste, efficace mais impuissant sans nous les femmes et hommes, ses sœurs et frères !
Il invite à réaliser un monde dont il porte une certitude intérieure, une intime conviction, nourrie par cet interlocuteur silencieux au profond de lui. Et il sait cet interlocuteur, cette petite voix, présent au plus secret de chacun de nous, de chaque humain. « Lui, l’Esprit, vous fera découvrir toutes choses ». L’œuvre de Jésus n’est-elle pas d’essayer de nous y ouvrir ?
C’est l’écoute de l’Esprit qui change tout, c’est cela qui renouvellera le monde. N’est-ce pas ce que Jésus veut exprimer en parlant, dans un langage accessible à son temps, du « royaume tout proche, là au milieu de vous » ?
Ce monde qu’il évoque est totalement accessible à tous, en germe, quand l’homme écoute ce qui murmure ou réagit en lui, quand il aime, ose se lever et exister par lui-même, quand il se rend accessible à la souffrance ou à la joie de l’autre. N’est-ce pas cela, chercher et faire advenir le royaume de Dieu ?
Ce rêve d’une humanité renouvelée anime Jésus, véritable “humanisme inspiré”, enraciné dans le dialogue permanent avec l’Esprit qui l’habite et habite chacun.
Ce rêve est tellement beau, et si précieux en même temps, qu’on a voulu le récupérer pour ne rien perdre : on en a fait une religion dans le prolongement et puis bientôt en rupture avec le judaïsme, tout en empruntant le même besoin de structures, de prêtres, de dogmes, de disciplines et en enfermant le savoir et le pouvoir dans les mains de quelques uns. Jésus et son message se sont trouvés ainsi récupérés et enfermés par la religion. Du monde centré sur l’homme, et respectueux de chaque être humain, proposé par Jésus, on est passé à un monde religieux, essentiellement centré sur Dieu, plus attentif au péché et aux méfaits de l’homme, qu’à ce monde renouvelé, annoncé par Jésus, inspiré par l’Esprit, le royaume à vivre jour après jour.
Une humanisation quotidienne du monde, “inspirée” par l’écoute de l’Esprit en chacun, n’est-ce pas cela le rêve et le défi de Jésus, quels que puissent être les contre-témoignages journaliers, les dénis des pouvoirs, de la technique, de l’argent ou des religions ? Pieux rêve individualiste, ou réalisme humble et courageux ?
Jean-Luc Lecat
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Merci Jean-Luc, tu rejoins dans ton approche, surtout au début de ta réflexion, un livre qui vient de sortir aux éditions Ad Solem : Je est Amour de Philippe Mac Leod. La démarche qui est la sienne demande beaucoup d’intériorité pour trouver Dieu au fond de nous et en chacun. Elle est épurée de ce qui n’est pas essentiel. J’essaie d’aller également vers cette démarche exigeante…
Je suis actuellement plongée dans le dernier ouvrage de Ph Mac Leod dont je savoure chaque phrase. Un beau chemin..
Une association s’est créée autour de ses écrits. Vous pouvez aller voir le site Phileod si cela vous intéresse. Bien sincèrement
Merci pour ces réflexions profondes. Jésus met la fraternité au coeur de son appel. Cet appel humaniste est aussi une des valeurs fondamentales de notre république. La fraternité est LE chemin de toute humanité.
Mais Jésus – me semble-t-il, à moi non croyant, mais plein d’espérance – nous ouvre un destin ; ou plutôt nous rouvre un destin déjà dessiné dès les tout premiers chapitres de la Genèse. Un destin de fils de Dieu, de jubilation éternelle dans l’amour. J’ai du mal à comprendre les chrétiens qui se désintéressent du monde dans lequel ils vivent, mais tout autant ceux qui ne croient pas en la résurrection, en la jubilation éternelle dans l’amour divin. Il me semble que la fraternité ici bas est LE chemin qui conduit à notre destin d’hommes : devenir des fils de Dieu. C’est, je le confesse, mon désir le plus profond, le plus fondamental, le plus essentiel de la nature humaine (faite à l’image de Dieu).
Il me semble donc que le christianisme est plus qu’un humanisme, bien plus qu’une religion ; c’est une spiritualité de l’amour. Notre fraternité est un chemin vers la plénitude de notre humanité, vers la Vérité et la Vie ; LE chemin vers Dieu. S’il existe… Si non, alors Jésus n’est pas Christ, mais un merveilleux exemple d’humanité.
Si vous vous considérez comme non-croyant, vous êtes sûrement le plus croyant des non-croyants! Vous me réconciliez avec cet au-delà en face duquel j’ai tant de doute. Merci!
Bravo et merci
Cela correspond à mes interrogations et réflexions personnelles. Je diffuse
Cher Jean-Luc, il me semble que vous écriviez pour un mensuel protestant qui malheureusement a cessé de paraître. Je suis heureuse de vous retrouver (si je puis dire).
J’éprouve une grande joie à vivre avec l’amour de Dieu et je souffre de mon incapacité de le communiquer. L’amour est donné pour cheminer en confiance au jour le jour et non pas pour accomplir de grandes choses ou des miracles. Dieu est discret, il est facile de s’en rendre compte, et il n’est pas non plus assis sur un trône d’où il nous juge en permanence. La culpabilité est une invention humaine, une sorte de prise de pouvoir sur soi par d’autres et ne sert strictement à rien. L’échec, l’erreur sont de formidables tremplins pour rebondir, créer du nouveau.
J’essaye de vivre à l’image d’un homme simple dont on ne sait presque rien que le Jésuite Joseph Moingt appelle « l’homme qui venait de Dieu », un homme faisant du bien autour de lui, habité par l’amour de Dieu. Il a vécu, comme nous, une vie ordinaire, semée d’embuches et quand il tombait, un ami venait le relever. Son chemin de croix est notre chemin. Il parlait de lui comme un « fils d’homme » – nous sommes tous des fils d’homme. Il est un d’entre nous et nous pouvons nous inspirer de lui pour notre quotidien, cela rendra notre joug un peu plus léger.
Est-ce un moyen de faire la paix avec la nature, avec notre prochain ? Je crois qu’une relation transcendante est possible, à partir de l’unité de chaque être, unité ternaire, corps, âme et esprit pour nous aider à vivre dans le monde qui se profile, faire face au lieu de fuir.
Sa « dimension humanisante » comme vous l’écrivez, donne la paix, rend libre pour l’action, permet d’accéder à une expérience de vie plus large.
Monika Wonneberger-Sander
Je suis heureux que ce texte puisse vous apporter nourriture. Permettez-moi de simplement le compléter en reprenant quelques lignes d’un écrit précédent (” Jésus, un art de vivre au monde”) qui soutend ma réflexion d’aujourd’hui :
“…Jésus ….vit et offre un au-delà de sa religion, et de son univers géographique. Il propose un esprit, une façon d’être au monde pouvant être vécus dans n’importe quelle situation, dans n’importe quelle recherche de sens , dans n’importe quelle culture, dans n’importe quel temps !
Le maître-mot de cet art de vivre au monde : aimer
Une attention particulière : le petit et le démuni
Une valeur primordiale : la personne
Une ambition : l’être humain debout
Une attitude fondamentale : la marche
Un moyen : ensemble
Une source : l’Esprit, l’innommable au cœur de chacun.
Quand Jésus parle de son règne, de la venue du Royaume, n’est-ce pas précisément de la venue de cet esprit, de cette façon d’être au monde ?
Puisse l’Esprit de Jésus continuer devivre en nous et par nous !
Nouvelle revue.
Libre croyant -e.
Remplace Évangile et liberté
Cela est dans la droite ligne du mouvement “Jésus simplement” qui s’exprima au sein de l’Association culturelle Marcel Légaut (ACML), membre de la Fédération des réseaux du Parvis. Un Jésus, maître spirituel, dont Jean-Luc Lecat, dans ce très bel article nous rappelle que sa mémoire ne vaut que par son humanisme altruiste et sa façon de penser Dieu comme un père aimant. Assurément nourrit du judaïsme, il ouvre une voie moins rituelle, moins conservatrice, plus ouverte à l’universelle. Le christianisme l’a associé à Dieu, en le divinisant (voir les épîtres d’Ignace, évêque d’Antioche en Asie mineure, écrites vers 110), puis en faisant de lui une Incarnation de Dieu (au concile de Nicée en 325) puis un élément de la Trinité (au premier concile de Constantinople quelques années plus tard en 381). En rendant à Jésus toute sa liberté par rapport aux dogmes christiques, on enlève rien à son enseignement et message et on les rend même plus plausibles, et on enlève rien non plus à la conception d’un Dieu aimant et providentialiste qu’il prêcha dans une perspective eschatologique (une Fin de temps imminente). Lui, s’est senti inspiré par Dieu et cela devrait nous suffire ; à notre tour de nous élever moralement et spirituellement.
L’Église Catholique, comme institution, est “une institution en tant qu’elle est dotée d’une substance et d’une forme ; on en caractérise la forme en considérant qu’il s’agit d’une actualisation particulière d’une forme structurelle (constitutive d’une structure), et enfin on explique théoriquement l’avènement, la stabilisation ou l’entrée en crise de cette forme alors qualifiée de forme institutionnelle.
Cela se comprend sans difficulté en considérant un lit à barreaux, lit qui convient pour un petit enfant afin qu’il ne tombe pas par terre dans son sommeil. Qu’il soit en bois ou en fer, sa forme a le statut d’une frontière dont la substance du lit ne peut pas sortir et à l’intérieur de laquelle l’enfant doit rester pour que le lit assure sa fonction (il se cogne contre cette forme quand il cherche à en sortir). D’un lit à barreaux à l’autre, la forme du lit n’est pas exactement la même, mais il s’agit toujours d’une barrière (forme structurelle). Il en va de même pour une institution : la forme d’une institution est ce contre quoi des humains se « cognent » et cette forme institutionnelle est la spécification particulière d’une forme structurelle.”
Société, économie et civilisation
Vers une seconde modernité écologique et solidaire ?
Page 288 à page 312
Bernard Billaudot
https://books.openedition.org/emsha/652
Les catholiques ont appris, apprennent et savent comment ne pas se « cogner » aux « barrières » « des prêtres, des dogmes, et des disciplines. »
La vision est « un détachement vis-à-vis d’un système social concret situé dans l’espace et le temps », une définition qui permet de discerner la possibilité d’une autre vision du monde, détachée vis-à-vis d’un système religieux ; la vision du monde de Jésus est une vision « du monde centré sur l’homme, et respectueux de chaque être humain » ; ce rêve d’une humanité renouvelée anime Jésus, véritable « humanisme inspiré », enraciné dans le dialogue permanent avec l’Esprit qui l’habite et habite chacun.
« Notre pain de demain (ἐπιούσιον)
(De nos rêves, de nos faims,)
Donne-nous aujourd’hui (σήμερον). »
Τὸν ἄρτον ἡμῶν τὸν ἐπιούσιον δὸς ἡμῖν σήμερον.
(Compréhension de la 4ème demande du Notre Père,
d’après Philippe Loiseau, Prêtre du diocèse d’Angers)