Il devient une référence française majeure pour la peinture contemporaine en abordant une question sociale mais aussi indirectement religieuse. La chronique de Jean Deuzèmes
Avec Guillaume Bresson, la peinture contemporaine entre temporairement pour la première fois à Versailles.

Versailles. Autres points de vue sur la peinture
Depuis 2008, l’établissement public invitait des stars internationales qui proposaient des installations suscitant parfois la polémique. En 2025, l’exposition est saisissante car en prenant la violence comme thème principal, elle confronte des œuvres du XXIe à celles d’un espace que l’on connait peu, car souvent caché : les combats liés à la conquête de l’Algérie.

Les représentations des luttes entre bandes de quartier, sans effusion de sang, mais qui obéissent à des règles, sont ainsi déposées au pied de grandes peintures politiques d’histoire de la colonisation où toutes les exactions parfois sanguinolentes exaltent le colonialisme du XIXe. Si les violences ont une place récurrente dans l’art, les perceptions d’aujourd’hui changent de sens tout en prenant la suite d’autres références séminales, celles du Titien, du Caravage ou de Poussin. Contrairement aux peintures d’Horace Vernet, il n’y a pas d’héroïsme. Guillaume Bresson fait pourtant une peinture d’histoire, mais ici sociale, en adoptant le point de vue des dominés de notre temps.
Un grand dessinateur empreint des médias de son temps
Guillaume Bresson est né en 1982 à Toulouse et a produit son premier tableau en 2006, une lutte dans un parking berlinois monumental, ritualisée, cathartique. Si le Street Art était basé, pour lui, sur une composition de lettres, il a basculé dans la composition des corps, dans le même esprit. Picasso peignait très vite, jusqu’à donner la date comme titre, lui ne peint qu’un nombre limité de toiles par an, toujours avec une grande minutie. La représentation de la brutalité et de la rapidité de l’acte violent repose paradoxalement sur la lenteur de la création.

Passionné par les arts de la rue et le Hip Hop, l’artiste a connu les émeutes urbaines de 2005 et la nouvelle filmographie sur le sujet (La Haine, Fight Club). Ses peintures sont construites d’ailleurs comme des séquences de film dont on ne connait pas le scénario, dans un style très classique : mouvements, cadre précis sur l’époque, symétrie et complexité des compositions où les corps et leur positionnement prennent le dessus sur la représentation des visages.

Ce très grand dessinateur qui est passé progressivement de la grisaille à la couleur utilise la même approche depuis ses débuts, s’exprime par le même processus.
Autoportrait 2021
Dans les différentes villes où il a travaillé (Berlin, Paris, Los Angeles et désormais New York, loin des pressions parisiennes), il a demandé à ses amis ou à des jeunes avec lesquels il était en relation de jouer des scènes qui tiennent de la performance, de la danse, où chacun bénéficie d’une grande liberté d’interprétation. Il fait de très nombreuses photos ou vidéos, puis compose sur ordinateur ses scènes, avant de les reproduire sur toile (souvent de grande dimension) en utilisant la technique ancestrale du carroyage.

Du fait de sa grande culture visuelle, son œuvre se situe dans le sillage des maîtres du clair-obscur, et ses toiles font écho aux épisodes mythologiques ou bibliques. Ses paysages ont rarement un caractère naturel ; ils sont très souvent urbains et contemporains. Les jeans, les teeshirts, les baskets ancrent dans l’aujourd’hui.
Être témoin de quelle violence ?
Guillaume Bresson a organisé avec force la mise en scène de ses œuvres. Des cimaises épaisses peintes avec énergie en gris, des petits murs dont tous les artistes du Street art rêvent, dans un cadre monumental, politiquement décoré au XIXe. Une confrontation dans le vis-à-vis.
Qu’y voit-on ? des bagarres ? des battle hip-hop ? de la danse ?
Quelles sont les origines de ces actes de violence ?
Qui sont les témoins insérés dans les tableaux ?
La violence est-elle un point d’équilibre ou de déséquilibre ?
Que sont ces temps suspendus ?
Quel rapport avec les paysages ?

Les compositions de Guillaume Bresson visent à faire du spectateur un témoin privilégié d’une histoire en train de se faire. Si elles sont résolument contemporaines en les situant dans les banlieues, il s’en dégage l’impression d’un grand classicisme, d’une théâtralité spécifique du Baroque ou du réalisme à la Nicolas Poussin.

Le travail sur les étoffes, les couleurs donnent une consonance spectaculaire, lyrique à ce qui relève du quotidien dans les espaces les plus communs.
Cette exagération de la violence sans armes, sans écoulement de sang, alors que les corps se touchent parfois créent une ambiguïté permanente tandis que les compositions et les lumières intriguent et invitent à chercher un ou des sens.

La multiplication de ces scènes laisse à penser qu’il cherche à représenter avant tout la ritualisation dans tous les lieux et formes de violence.La présence de tentes de personnes de la rue est fréquente, violences sociale et physique sont associées.
La référence à la pensée de René Girard s’impose alors. S’il est possible de conjurer la violence par le rituel et le sacrifice, la religion permet aux sociétés de canaliser la violence inhérente, de vivre ensemble, et de se construire.

La violence représentée n’est pas une violence sublimée ou idéalisée. Comme le peintre l’exprime lui-même dans ses interviews, il y a une dimension éthique dans sa peinture, dans sa manière d’amplifier l’émotion. Il ne fait pas de la violence un art pour l’art, mais il cherche à transformer le réel par l’art, à prendre à bras le corps un monde toujours aussi violent. Du fait des cadres architecturaux, souvent monumentaux, les scènes sont en état de suspension, l’artiste laissant le spectateur se livrer à sa propre interprétation.


Les violences ne sont pas seulement celles de petits groupes, mais sont aussi sociales comme cette lutte sur un parking vide où se trouve un manège d’auto dans une commune du Nord. Le tableau a été composé après des discussions avec Edouard Louis, l’écrivain engagé, représentatif du trans classe.
Une vision faisant mémoire d’émotions touchant au religieux
Bien des compositions laissent transparaître une dimension religieuse comme ces individus regroupés tels des pèlerins d’Emmaüs, ou cette arrestation musclée, devant témoin, avant la confrontation avec Pilate, ou encore le repas chez Marthe et Marie.


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Les textes bibliques regorgent de situations de violence précisément décrites. Les artistes les ont largement utilisées. Guillaume Bresson fait l’inverse : la violence peinte permet d’accéder à la mémoire de ces histoires où la confrontation des hommes parle des rapports à Dieu. La crucifixion étant un moment paroxystique, mais qui ne clôt pas l’histoire.

La lumière joue un rôle fondamental, quand ce ne sont pas les sources comme les candélabres au centre des toiles qui structurent l’ensemble.
Ses tondo, commencés durant la période du Covid, avec des corps dont on ne sait s’ils tombent, l’expérience de la chute, ou montent, comme des apothéoses, invitent à les lire comme des tableaux religieux d’un autre ordre, où les corps torsadés, entremêlés insistent sur l’humanité des sujets.

C’est pourquoi, l’église Saint-Eustache a commandé à l’artiste, pour 2026, un tableau sur l’apothéose de saint Eustache à mettre en vis-à-vis de son martyre peint par Simon Vouet (XVIIe).
Les détails au sein de nombre de toiles, les ruptures de modèle d’une toile à l’autre vont dans ce sens. Ainsi un des rares paysages de nature sans personnage met au centre une sortie de tunnel. Qu’est-ce sinon l’allusion immédiate au tombeau vide ?

Un marqueur de notre temps

L’actualité de ce peintre va se manifester dans une immense fresque pour le Stade de France, en 2026, et se reconnait dans la publicité.
Le renouveau de la peinture religieuse se nourrit de l’approche de Guillaume Bresson.
Le figuratif a pris le dessus sur l’abstraction, le figuratif n’est plus éthéré. Le catholicisme a besoin d’images, depuis le concile de Trente notamment ; Guillaume Bresson apporte une référence stylistique marquante, formellement avec ses demi-nus, ses vêtements communs, mais aussi par ses sujets : des instants que l’on doit interpréter et non une histoire que l’on raconte. En plaçant de telles œuvres dans un espace religieux, on privilégie la corporéïté, on parle directement au visiteur en l’invitant à un mouvement de l’esprit.
Voir video : https://youtu.be/acyOowR5GLg
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Merci à Jean deux M pour cette étonnante et superbe découverte.