Quelle chance d’avoir pu voir Léon XIV aussitôt en direct lors de sa première apparition ! Je crois que je ne le reverrai qu’avec beaucoup de difficulté. Oui, quelle chance d’avoir entendu ses premiers mots, d’avoir vu ses gestes : je crois que je ne le reverrai plus jamais aussi bien…
Je ne parle pas là des gardes suisses qui m’empêcheraient de l’approcher, de l’étiquette, de la foule, de ses occupations ou de mes yeux. J’ai eu la chance d’avoir pu l’approcher à un mètre en toute confiance ce jour-là, au moment même où le suspense s’est levé. Vous aussi. Et je crois que nous ne le reverrons qu’avec beaucoup de mal.
En effet, les jours suivant, ont circulé bien des informations vidéo sur sa vie, tant d’articles, de confidences, de souvenirs. On a exhumé des passages de ses lettres et de ses homélies. J’ai tenté de scruter cet autre être qui serait un peu comme un père pour moi, de connaître cet inconnu imprévu, de deviner cette autorité suprême. Je voulais prévoir s’il allait m’encourager ou me freiner, moi, fidèle de base.
Mais ensuite, quelle malchance ! Mes espérances sont presque tombées à l’eau. En effet, les vidéos ont proliféré : en voulez-vous en sépia, en noir et blanc, à l’eau de rose ? En rouge triomphe ? En or rayonnant de sacré ? En noir et violet prêchant pénitence ? En Vatican jaune et blanc ? En blanc irréprochable ? En vert écolo ? Avec des rayures politiques tendues (nuances au choix), des reflets moirés diplomatiques ou des incrustations ponctuelles d’éclats de rire ? Oui, je crois bien que nous aurons du mal à voir le vrai Léon.
Nous pouvons deviner assez facilement que certaines vidéos sont intégralement fabriquées grâce à une intelligence artificielle : elles sont souvent humoristiques, naïves et idéalistes, mais même cela, et même le prétendu second-degré des intellos, peut être une ruse. D’autres, bien plus dangereuses, sont si bien faites qu’on croit qu’elles transmettent de la vérité : c’est le summum du tendancieux et de la manipulation. Ces fake-news sont souvent au service d’intérêts : intérêts spirituels peut-être, (mais certains emploient parfois des moyens financiers contestables lorsqu’ils trouvent que la fin justifie les moyens) ; ou intérêts purement financiers et politiques. Les deep-fakes (enregistrements vidéo réalisés ou modifiés grâce à l’IA) les plus dangereuses sont évidemment tendancieuses. Dans le cas de Léon, leurs auteurs veulent se prévaloir de son accord et désinforment sans complexe : « Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose, puisqu’il n’y a pas de fumée sans feu ! » Pour ne pas servir de relais d’influence, si on est conscient des risques d’instrumentalisation qu’on court, faut-il se disculper et protester ? Cela renforcera-t-il ou non l’adversaire ? Plaignons Léon d’avoir à choisir.
Hélas, pour juger de la véracité d’une information, il faut la lire avant de pouvoir prendre du recul : trop tard ! le premier mal est déjà fait. Pour l’éviter, il vous faudrait rejeter a priori l’information – ce qui n’est pas une bonne habitude pourtant ! Si vous avez lu, vous êtes informés – songez au sens étymologique de ce verbe – et donc possiblement embellis ou enlaidis : cette déformation ne pourra être stoppée ou limitée que si vous avez, – ce qui est bien mieux ! – l’énergie, le temps et la possibilité de vérifier, de vous informer, de « nettoyer ».
Ainsi, grâce au morphing, quantité de fausses homélies circulent sur le net et les abonnés n’y voient que du feu : ils en sont même contents puisqu’on leur donne ce qu’ils demandent et les conforte. Un article de La Croix (*) explique un peu comment ne pas se laisser prendre. Ce journal, comme d’autres (La Vie, Le Pélerin) ne publie pas de fake-news mais se pondère, vérifie ses informations et les sources. Quant à moi, je me suis aussi abonnée gratuitement il y a déjà quelque temps à Vatican News (consultable ICI) où l’on trouve au quotidien six ou sept grands articles : je ne clique que sur ce qui m’intéresse, mais au moins je suis assez sûre de mes informations sur le Vatican, même si elles sont très « sages » !
Notre espace mental individuel et sociétal est perturbé par ces drones. Nous allons devoir apprendre à lire intelligemment, tâche presque surhumaine face à ces robots. Mais qui est aussi bon dans ces fonctions qu’une Intelligence Artificielle ? Elle mérite de plus en plus ce qualificatif qui lui sied aussi, hélas, lorsqu’elle cède à la tentation de l’imposture et du mensonge. Nous avons construit un cerveau à partir de nos souhaits et nous avons donc oublié de lui insuffler auparavant des limites morales, d’où cette anti-communication.
Je crois que je ne reverrai Léon XIV qu’avec beaucoup de difficulté. Oui, quelle chance d’avoir pu voir en direct sa première apparition en même temps et comme tous nos frères les hommes. Oui, quelle chance d’avoir pu l’approcher sur ma télévision qui, loin de « faire écran » ce jour-là, nous livrait l’un à l’autre en toute confiance, comme en visio immédiate, nature.
L’erreur humaine n’a pas pu truquer ces premiers moments fondateurs, et si révélateurs de Léon. Oui, la couleur et le style de son vêtement, ses chaussures, son anneau et sa croix en disaient quelque chose, et surtout son visage. Mais surtout ses premiers mots spontanés et son discours bien pesé : là doit porter notre attention. Quelle chance de pouvoir réfléchir sur ses paroles et sur ces instants pour le connaître.
Mais aujourd’hui, n’y a-t-il pas aussi un Autre dont nous n’avons que ce qui reste de ses paroles et de son esprit pour nous guider tous ?
(*) Elie Pillet, La Croix du 4 juin 2025. Léon XIV : sur Internet, une prolifération de fausses vidéos du pape.
(Pour les abonnés au journal La Croix, consultable ICI)
MCR 06.06.25