Avant d’aborder le message universaliste de la Pentecôte, je voudrais souligner combien en tant que chrétiens, lecteurs en l’an 2021 des Actes des Apôtres (Ac 2, 1-11), nous insufflons notre vie aux textes qui fondent nos origines. Ces textes datent du 1er siècle de notre ère, mais en les lisant, en les traduisant dans le langage de notre temps, nous les vérifions comme vérité inépuisable. Remarquez : je viens de prononcer le mot caractéristique du texte de ce jour : langage.
La Pentecôte, c’est l’évènement qui consacre le message évangélique comme traduisible dans toutes les langues de la terre, pour tous les hommes et toutes les femmes, quels que soient les lieux où ils vivent, quelle que soit leur époque. Il n’y a pas de préalable de race, de sexe, de genre, de couleur de peau, pour se mettre à l’écoute de l’Esprit Saint, pour entendre ce qui est dit. Allons à l’essentiel, tous les humains sont frères, ils partagent une même nature car ils sont tous enfants de Dieu. Et c’est si vrai, que les philosophes des lumières transformeront ce message religieux en reconnaissance du droit naturel, ce qui veut dire, le droit commun à tous les hommes et ce droit naturel accouchera des droits universels de la Déclaration des droits de l’homme.
Notre langage religieux a été le véhicule de valeurs universelles de liberté, de tolérance,
de justice qui attestent et plaident en permanence pour des sociétés où chaque personne doit être reconnue et respectée
dans sa dignité d’être humain.
Le second texte du jour (Ga5, 16-25)
L’épître de Paul est peu traduisible de nos jours, voire incompatible avec ce que nous sommes devenus. Elle relaie une vieille croyance gnostique dans la lutte permanente entre les ténèbres et la lumière, entre la matière et l’esprit qui se joue dans notre corps. « Notre chair est le lieu du mal. » Oui le mal existe, oui nous sommes des êtres aux prises avec le mal, mais pouvons-nous reprendre cette condamnation de la chair et bien évidemment la condamnation de notre sensibilité, de notre vie affective et amoureuse ? Il est d’autant plus troublant de reprendre ces paroles.
- Si notre théologie chrétienne a pour dogme fondamental celui de l’incarnation, « le verbe s’est fait chair », pourquoi le Christ s’est-il incarné ? Pour vivre la condition humaine, c’est-à-dire la vivre dans sa chair, avec un corps d’homme.
- Nous vivons une époque qui démontre que cette théologie de la chair, en soi malfaisante, a produit au sein de l’Église catholique la dénégation de la sexualité, en particulier celle des hommes et des femmes consacrées à son service[i] avec toutes les dérives et toutes les perversions que la Lettre aux fidèles de la Conférence des Évêques de France de mars 2021 reconnaît sans ambiguïtés.
Ce texte de Saint Paul questionne aussi le rapport à la loi. Le judaïsme est porteur de la loi de Moïse, s’il est exact que l’observance de la Loi ne suffit pas dans les relations entre les hommes et que le commandement de Jésus d’aimer son prochain comme son frère transcende le rapport à la Loi, n’oublions pas que l’oubli de la loi fait le lit de toutes les dérives. L’Église catholique a pu se croire comme une institution qui échappe à la loi, comme un milieu clos qui n’a pas de compte à rendre aux tribunaux de la société civile. Les scandales dévoilés ces derniers temps témoignent des conséquences de cet oubli de la Loi.
Comment résoudre notre fidélité à nos origines aux prises avec l’évolution des connaissances
et des mœurs de notre époque ?
Abordons le texte de l’Évangile (Jn15, 26-27 ; 16, 12-15)
Jésus y prononce le mot de commencement : « Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement ». L’origine spirituelle de Jésus se trouve dans le judaïsme, ses textes et ses pratiques ; mais par sa vie et ses prédications, Jésus prend une distance par rapport à ses origines et il produit un commencement, c’est à-dire qu’il a suivi son propre chemin avec les Apôtres, guidé par l’Esprit Saint.
Nous ne sommes pas le Christ mais nous devons nous aussi nous mettre en chemin dans une époque qui annonce un commencement. Mais pour nous ce commencement n’est pas notre décision personnelle, nous ne l’inventons pas, nous ne le décidons pas, nous sommes plutôt emportés par lui et dans la nécessité chrétienne de nous y conformer.
Écoutons les prophètes de notre temps, ceux qui déchiffrent les signes du temps : j’en citerai deux, l’écrivain et bibliste italien Erri De Luca et le pape François.
Erri de Luca écrit des œuvres de qualités littéraires qui lui valent d’être traduit en plusieurs langues mais pour notre propos, il dévoile un tournant symbolique qui signe un changement d’époque, pour nous chrétiens. Dans son roman La nature exposée (Éd. Gallimard) il nous raconte l’histoire d’un sculpteur vivant à notre époque et qui reçoit une commande de la part d’un évêque pour restaurer un Christ en croix. Seulement, ce qui n’est pas ordinaire, c’est que ce Christ a un sexe. Au lieu de n’avoir qu’un morceau de tunique qui recouvre le bassin, le Christ est nu sur sa croix et dans sa nudité expose son sexe. Notre sculpteur accomplit son œuvre de restauration, elle se révèle pour lui un évènement spirituel. Erri de Luca, par cette métaphore, signe le changement d’époque que nous vivons. Désormais nous pouvons admettre que le Christ des Évangiles, dans son incarnation, avait un sexe d’homme, ce n’était pas un être chimérique mais bel et bien un homme de chair avec un corps sexué. Ce virage symbolique ouvre sur la question du corps, la réhabilitation de la sexualité.
Autre prophète de notre temps : le Pape François. Lors d’un entretien à la presse, en parlant de la pandémie que nous traversons, il dit en substance que le monde ne sera plus jamais comme avant et que, si les gouvernements actuels croient s’en tirer par quelques belles paroles et quelques actions politiques, ils se trompent. Il en appelle à l’engagement les fidèles pour être partie prenante dans une nécessaire transformation du monde. Vous pourriez objecter que tirer de telles conséquences de quelques phrases est peut-être disproportionné mais si nous prenons en compte l’audience qu’ont recueillie ses encycliques Laudato si’ et Fratelli tutti auprès d’une grande majorité de chrétiens et surtout chez les jeunes, nous y discernerons un signe des temps, un appel à un commencement.
Prenons un exemple parmi tant d’autres, l’appel du Pape François d’accueillir l’étranger, l’immigré qui fuit son pays pour survivre. Quelques conséquences de cet appel : les créations de corridors humanitaires par la communauté Sant’ Egidio, les hébergements de Welcome par les réseaux des Jésuites. Le pape ébranle sa propre Église en nous indiquant les moyens que nous devons nous donner pour vivre ce nouveau commencement. Dans cet appel à l’accueil de l’autre sans conditions, sans préalable de sexe, de genre, de race, de couleur de peau, ne reconnaissons-nous pas le souffle de l’Esprit Saint, le souffle de la Pentecôte qui a ébranlé les Apôtres et les a mis en mouvement ?
Beaucoup de nos contemporains croient en la fin de l’Église catholique : j’entends en ce sens le titre de l’ouvrage Peut-on encore sauver l’Église ? (Hans Küng, Éd du Seuil). Nous ne sommes jamais dans la certitude concernant l’avenir, prenons le risque « la vieille Sarah enfante toujours ». Laissons-nous gagner par la confiance, laissons-nous emporter par le souffle de l’Esprit saint, par le vent violent du changement d’époque qui l’accompagne, reprenons l’Esprit des origines pour créer un commencement, pour une communauté de chrétiens ouverte aux temps qui s’annoncent.
« Bénis le Seigneur ô mon âme…
psaume 103(104)
tu renouvelles la face de la terre. »
Christiane Giraud-Barra
[i] Lettres pascales de François Cassingina-Trévedy, moine bénédictin de Saint-Martin de Ligugé.
« Ils s’aperçurent qu’ils étaient nus » Gn3, 7. De la sexualité en son site ecclésiastique. Quelques propos et propositions. 16 mai 2020.