Les évêques français viennent de reconnaître le caractère systémique des abus dans l’Église. Mais, si système il y a, ne faut-il pas interroger ce qui le légitime, à savoir la fonction sacerdotale qui favorise les dérives d’une organisation trop longtemps sûre d’elle-même ?
La chronique d’Alain Cabantous
Durant son interview catastrophique du lundi de Pâques 2021, à la question relative à la pédocriminalité dans l’Église, l’archevêque de Paris répondit avec l’aplomb qu’on lui connaît que ce n’était pas systémique. On le comprend. Cela aurait eu pour effet de remettre en cause et de responsabiliser toute l’institution qu’il défend bec et ongles. Et pourtant le rapport, et après lui enfin, les évêques réunis à Lourdes viennent d’en reconnaître le caractère. Parmi les éléments qui constituent et alimentent la perversité du dit système, la Commission indépendante n’a pas manqué de relever l’importance jouée par la place du prêtre.
On peut lire, entre autres, que : « Dans les témoignages de personnes victimes revient de façon quasi systématique le fait que le clerc agresseur disposait d’une position telle que ses actes étaient insusceptibles d’être empêchés, contestés, voire reconnus ». Car au-delà de la minorité prédatrice, c’est bien la fonction sacerdotale qui est interrogée en profondeur. C’est bien elle qui participe et favorise, directement ou non, les dérives insupportables d’une organisation trop longtemps sûre d’elle-même.
Sans remonter à la longue réforme grégorienne (1073-1150) qui, face à l’Empereur, instaura une structure religieuse très hiérarchisée où s’imposait aux prêtres « la prescription des voies de la perfection », on se contentera de rappeler ici l’importance majeure du concile de Trente (1545-1563). Dans la continuité séculaire de cette image pourtant mise à mal à la fin du Moyen-âge, en appui de textes importants qui fleurissent au début du XVIe siècle (de Geiler de Kaysersberg à Josse Clichtove) et en réponse à la révolution luthérienne, va se déployer la sacralisation du prêtre. Ainsi, dans le catéchisme du Concile de Trente (livre réservé au clergé), les ordonnés « offrent les Saints Mystères pour eux-mêmes et pour le peuple, ils enseignent la loi de Dieu, ils exhortent et forment les fidèles à l’observer avec joie et empressement, ils administrent les sacrements, enfin pour tout dire, ils vivent séparés de tout le reste du peuple pour remplir le plus grand et le plus excellent des ministères. C’est pour exercer ce pouvoir qu’ils ont été institués et consacrés avec des cérémonies solennelles appelées Sainte Ordination. [Par là] les Saints Pères voulaient mieux faire apprécier la dignité et l’excellence des Ministres de Dieu ». Les séminaires, établis poussivement, devaient favoriser ces objectifs. Aussi, peut-on lire dans les règlements de celui de Saint-Firmin à Paris à la fin du XVIIe siècle qu’ils « n’ont été fondés que pour y considérer attentivement la sublimité de ce divin état, en étudier les devoirs et envisager les dangers pour se vider de l’esprit du siècle ».
L’insistance obsessionnelle des théologiens à propos de la notion de séparation avait un aspect « pratique » intimement imbriqué à une dimension ecclésiologique. Celui qui célébrait le « saint sacrifice » in persona Christi capitis, et donc qui, étymologiquement, fabriquait du sacré, le désignait comme le seul intermédiaire entre Dieu et les baptisés. Il ne pouvait que devenir une personne autre. Après son ordination, le voici asexué avant d’être homme, tenu volontairement à l’écart de la société (on interdit peu à peu aux prêtres d’aller dans les auberges, d’être invités à des fêtes ou de chasser) et bientôt habillé différemment des autres.
C’est ce que l’on a inculqué aux baptisés durant des siècles et c’est ce que croient encore « incarner » aujourd’hui beaucoup de prêtres parmi les plus jeunes, formatés au sein de séminaires bien spécifiques (Saint-Martin en France) ou issus des communautés ex-nouvelles. Dès lors, plus la figure du prêtre devient « exotique » plus celui-ci est en quête d’une « réhabilitation qui prend alors la forme d’une mise en scène identitaire » (D. Hervieu-Léger). Mise en scène qui se manifeste plus encore dans la célébration de ce que l’on nommait jadis « les saints mystères ». Depuis les années 1990, lors de la messe, on assiste au retour du décorum, au port de beaux vêtements liturgiques, à des processions d’entrée, à des préfaces souvent (mal) chantées, à la survalorisation de la gestuelle lors de la consécration avec clochettes d’accompagnement et même à la décision grotesque de réserver aux petits garçons, servants d’autel, l’accès au chœur comme pour donner raison au constat du rapport Sauvé. Autant d’éléments imposés qui participent à la volonté de recouvrer cette aura quasi magique du prêtre qui ne préside pas la liturgie mais qui l’impose en s’imposant comme seul sacrificateur pour la communauté.
Face à ce fonctionnement systémique écrasant, on peut alors comprendre le silence des familles ou des paroissiens qui ont longtemps refusé de croire qu’un tel personnage pût s’adonner à des crimes sexuels perpétrés contre des enfants ou des adultes. Sacrée perversité quand même. La complicité passive du milieu, derrière laquelle certains évêques se sont retranchés après quelques affaires retentissantes, n’était que la conséquence lourde et oppressante de cette sur-sacralisation du clergé que d’aucuns aujourd’hui entendent bien perpétuer.
Mais s’attaquer à ce problème majeur et impératif exigerait une véritable révolution spirituelle et nécessiterait qu’on s’interrogeât à nouveaux frais, selon une autre ecclésiologie et une autre dogmatique, sur le sens du « sacrement de l’ordre » que Jésus n’a jamais instauré. « C’est par là », écrit Luther en 1520, « qu’a pris le départ de cette tyrannie détestable des clercs à l’égard des laïcs. Le sacrement de l’ordre s’est avéré et demeure la plus belle machine propre à mettre en place toutes les monstruosités qui ont lieu dans l’Église jusqu’à présent et qui ont encore lieu » (De la captivité babylonienne de l’Église).
Quelle résonance contemporaine !
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Les manies observées ne sont pas que le fait de la Cté St Martin. Dans plein d’autres paroisses les mêmes travers sont imposés aux paroissiens, par exemple par les Cté de l’Emmanuel.
Merci Alain, je crois vraiment que tu rejoins la racine du problème fondamental de l’Église, mis particulièrement en lumière par la pédocriminalité vécue par certains membres de la caste sacerdotale.
Je pense que c’est précisément le pouvoir sacré attribué aux clercs qui est le problème de l ÉgliseI, avoir mis des humains à part des autres humains en leur attribuant des pouvoirs divins. Alors comment avancer quand on constate que ce pouvoir sacré est réaffirmé avec force par le concile Vatican II lui-même , pourtant à l’origine de plein d’ouvertures et de liberations ? Comment des oreilles et des consciences contemporaines peuvent-elles entendre par exemple les affirmations contenues dans le chapitre 3 de la constitution “Lumen gentium”, telles que celle-ci : “…en la personne des évêques assistés des prêtres, c’est le Seigneur Jésus Christ, Pontife suprême, qui est présent au milieu des croyants” ? Comment se retrouver tous dans la seule et unique fraternité de notre baptême, en renonçant à cette vertu magique donnée à certains humains ?
Merci Alain d’oser poser la question.
Jean-Luc Lecat