Le Pape François suggère souvent que l’esprit synodal implique un retournement radical, une conversion intérieure autant que communautaire, un art nouveau du dialogue, du discernement et de la décision en Église. Brutalement remise en cause dans ses fondements, la communauté de Saint-Merry, devenue nomade, a dû suivre un chemin de conversion d’urgence. Soutenue et aiguillonnée par de nombreux amis, elle a vécu un parcours de discernement, un « exercice spirituel » collectif, pourrait-on dire.
C’est bien d’une mue et d’un approfondissement dont il s’est agi, non pas d’un replâtrage de fortune ou d’un dispositif de survie. La décision « d’en haut » de février 2021 n’a servi que de déclencheur, tout le reste est parti « d’en bas », ce qui rejoint l’idée du Pape que le chemin synodal part de réalités communautaires et apostoliques depuis le bas jusqu’en-haut.
Michel de Certeau avait théorisé en 1971 la notion de « rupture instauratrice ». Ce qu’a vécu Saint-Merry semble bien un événement de cette nature : une rupture instauratrice qui a défait des immobilismes, accéléré la maturation, débordé certains enclos ou pré carrés, aboli des habitudes désuètes, initié un processus d’innovation vers du non-conforme et de l’hétéronome. Certes le processus y est encore chaotique, loin d’être parfait ni achevé. Mais décrit ainsi, ce recommencement paraît typiquement synodal, et il évoque encore François faisant remarquer que « la docilité à l’Esprit est révolutionnaire ».
Une autre référence intéressante de la fin du 12ème siècle est Joachim de Flore qui prophétisait la venue de « l’ère de l’Esprit », l’âge de la « lettre de l’évangile », de « l’intelligence spirituelle », de la liberté et de la charité. La thèse de Joachim a naturellement de l’écho à Saint-Merry en contexte de synode et de refondation. Elle a toujours fait polémique dans l’Église, parce qu’elle implique certainement une autre vision de la trinité et de l’histoire. Mais ce débat n’est-il pas pleinement d’actualité pour nous aujourd’hui, nomades vivant l’église comme une diaspora dans le monde, non plus reliés par une religiosité formelle mais par une aventure spirituelle partagée, engagés sur ce chemin synodal de rupture et de renouveau ?
Au bout d’un an de ce régime de choc, le temps est venu à Saint-Merry Hors-les-Murs de prendre acte de ces évolutions et de délibérer en commun les grandes orientations pour les traduire en feuille de route et envoi en mission. Cela doit se faire avec tous les amis, compagnons de route, frères et sœurs dans l’institution et pas seulement au sein du noyau « dur » de la communauté. Parmi ces orientations à délibérer, deux paraissent centrales et typiquement d’esprit synodal : qui sommes-nous et vers qui sommes-nous envoyés ?
La parole partagée en actes
Dans ses murs, la communauté Saint-Merry se présentait comme quelque chose de parfaitement atypique dans le paysage ecclésial. Hors les murs, son atypisme n’a fait que s’accentuer. Elle n’a jamais été une paroisse, ni un mouvement caritatif ou d’action catholique, ni une « communauté nouvelle », ni d’ailleurs n’importe quel autre type d’instance répertorié par la Conférence des évêques. Elle n’a jamais non plus vraiment ressemblé à une « citykirche », un « tiers-lieu d’église » ou une « start-up »[1].
Pourtant dès l’origine des années 70, Saint-Merry était un réseau de groupes d’échanges, de solidarités, d’action culturelle ou musicale, etc. qui se retrouvaient pour partager la parole et célébrer ensemble. Ce réseau communautaire avait son identité « synodale » d’écoute, de dialogue fraternel et de gouvernance en coresponsabilité.
Saint-Merry Hors-les-Murs n’est plus centrée sur une bâtisse. Elle est désormais une église particulière plus « liquide » que « solide ». La communauté se rassemblait en un lieu sans que ses membres résident dans un territoire déterminé. Aujourd’hui le lien géographique est devenu encore plus ténu avec le nomadisme ; de lieux en lieux, des liens se tissent ainsi et forment un réseau intercommunautaire. Mais la communauté surfe aussi sur la toile de lien numérique en lien numérique ; nombre de rencontres se font en distanciel et son site internet est de fait devenu un média d’actualité, un centre de ressources au service de la communauté et bien au-delà. En changeant d’échelle, elle est devenue hybride.
Sans oublier l’importance d’un lieu fixe, Saint-Merry Hors-les-Murs a besoin de préciser son identité synodale dans ce contexte nouveau. Sa particularité n’est-elle pas d’allier les trois dimensions du partage de la parole, des actions concrètes de solidarité et des célébrations ? Les Actes des apôtres décrivent le plus souvent les premiers chrétiens comme des frères, ou comme « ceux qui suivent le chemin de Jésus »[2]. Ce qui guide en esprit notre communauté, n’est-ce pas « la Parole partagée en actes et en chemin » à laquelle nous exhorte si fermement l’épître de Jacques : « mettez la Parole en pratique, ne vous contentez pas de l’écouter »[3] ? Notre style synodal, n’est-ce pas la combinaison d’une fraternité toujours à conquérir, vécue en groupes plus ou moins éphémères se recomposant en permanence, d’une aventure spirituelle partagée en prise directe avec l’évangile et en dialogue avec le monde contemporain, de célébrations créatives et riches de cette expérience communautaire, enfin d’une gouvernance participative et coresponsable ?
Des charismes à discerner
L’Église synodale serait celle « où tous sont acteurs protagonistes, appelés à être disciples missionnaires »[4]. Vers qui et vers quoi Saint-Merry Hors-les-Murs est-elle envoyée, quelle est sa mission ? Trois des orientations clefs de l’ex-CPHB demeurent d’actualité[5] : une pastorale de l’accueil inconditionnel, l’ouverture aux périphéries « existentielles » comme à celles de l’Église, la participation à « l’invention des modes nouveaux de l’Église de demain »[6].
Guy Aurenche
Jacques Debouverie
[1] Arnaud Join-Lambert, Vers une Eglise liquide, Etudes février 2015.
[2] Actes, chapitres 9, 19, 22, 24.
[3] Jacques 1, 22
[4] Nathalie Becquart, sous-secrétaire du synode des évêques
[5] Comme en témoigne le compte rendu de la réunion synodalité du 25 janvier 2022.
[6] Lettre du Cardinal Marty, 1975.