Faut-il être juif pour être chrétien ? Un débat relaté dans les Actes des Apôtres. Selon la tradition Corneille est le premier « gentil » à être admis à part entière dans la communauté chrétienne des premiers temps.
La chronique de Jesús Asurmendi

Le récit concernant Corneille (Actes 10) occupe un lieu stratégique dans la trame des Actes des Apôtres. C’est le récit de l’entrée d’un non-juif dans la nouvelle communauté des croyants. En effet, jusqu’alors il y avait eu des « conversions » plus ou moins rocambolesques, comme celle de l’eunuque éthiopien (Actes 8,26-40), mais il s’agit toujours de juifs ou de « craignants Dieu », terroir où les premiers chrétiens semblent avoir travaillé, au moins au début. Dans le cas de Corneille, qui est un païen « pur et dur », il s’agit d’une « première ». Et elle est attribuée à Pierre, malgré toutes ses réticences (Actes 10,9-48). Ceci n’est pas allé sans tiraillements et Pierre, à en croire Paul (Gal 2, 13-21), n’était pas très convaincu ou n’avait pas tiré toutes les conséquences de ce changement, de cette révolution copernicienne. Les païens deviendront, par la suite, le terrain de prédilection de Saul (Paul), comme le décrit en détail la suite des Actes des Apôtres. Et le chapitre 15 des Actes montre Paul devant justifier, lors de ce que l’on appelle « le premier concile », ses pratiques au milieu du monde païen. Le récit des Actes 10 met l’accent lourdement sur la question des aliments et donc sur la pureté/impureté que les juifs sont censés observer et que le contact avec les païens met en cause. Ces disputes peuvent nous paraître aujourd’hui parfaitement surréalistes, mais à l’époque elles étaient d’une importance vitale. 

La question était simple mais déterminante : faut-il être juif pour être chrétien ? 

Actes 15 : 
« Alors quelques membres du groupe des pharisiens qui étaient devenus croyants intervinrent
pour dire qu’il fallait circoncire les païens et leur ordonner d’observer la loi de Moïse. ». 
Et le récit s’achève : 
« L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous d’autres obligations que celles-ci,
qui s’imposent : vous abstenir des viandes offertes en sacrifice aux idoles, du sang,
des viandes non saignées et des unions illégitimes. Vous agirez bien, si vous vous gardez de tout cela.
Bon courage ! ».

Michel II Corneille, Le baptême du centurion Corneille par Saint Pierre, 17e S, Collection particulière

Du courage il en fallait, car affronter le gros de la communauté n’était pas une mince affaire. En fait, ce fut un point dirimant à un moment essentiel de l’histoire de l’Église qui devait ensuite servir de repère de discernement dans des cas similaires ou comparables. Les us et les coutumes deviennent vite des « traditions » intouchables. On confond alors allègrement « tradition » et « coutume ». Ce n’est pas du tout pareil. La « tradition » comporte deux composantes : répétition et innovation. Trop souvent on retient de la tradition le premier élément, la « répétition », et on oublie le deuxième, « l’innovation », aussi important et constitutif de la tradition. 

Comme ce fut le cas, quelques siècles plus tard, avec le latin, la langue liturgique. Langue liturgique est celle qui permet à une assemblée donnée de participer et de partager la liturgie dont il est question. Ce fut le cas pour les missionnaires en Chine. Où l’on imposa le latin pour la liturgie. Quelle occasion manquée !! On mesure l’absurdité de l’affaire quand on regarde le film Silence où l’on voit des pêcheurs japonais au XVIII siècle « suivre » (« subir » ?) une messe en latin. Ceci a fonctionné dans l’ensemble de l’Église jusqu’au Concile Vatican II. Quelle absurdité !

Ce récit sur Corneille et son entrée dans la communauté chrétienne est paradigmatique, exemplaire. Depuis lors le problème posé par l’entrée des païens dans la communauté chrétienne est passé et dépassé. Mais d’autres, nouveaux se posent. Et d’autres se poseront encore. Il faut donc que les chrétiens gardent toujours en tête le principe de discernement face aux inévitables changements qui se produisent et se produiront ; on ne peut pas se contenter de la routine et de la répétition, car c’est la meilleure façon de se condamner à mourir avant l’heure. Ce discernement doit également s’exercer par rapport aux nouveautés, au « nouveau ». Ces « nouveautés » viennent généralement de la vie sociale dans laquelle évoluent les chrétiens eux-mêmes. Les recevoir ne veut pas dire forcément les accepter comme valables. Car il ne suffit pas de dire « c’est nouveau » pour assurer sa pertinence et sa valeur. Nouveau était le fascisme dans les années trente, ce qui ne préjuge pas de sa valeur. Loin de là. Nous sommes condamnés au discernement perpétuel.

Ce discernement peut demander parfois de changer de paradigme comme ce fut le cas pour les premiers chrétiens. Non, il n’était pas indispensable d’être juif pour devenir chrétien.

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Jesús Asurmendi

Bibliste. Professeur honoraire à l'Institut Catholique de Paris.
Parmi ses publications, « Du non-sens — L'Ecclésiaste », Éditions du Cerf, Paris, 2012 ; « Job », Éditions de l'Atelier, Paris, 1999.

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