Dans le livre de Jonas, prophète de la miséricorde, les révélations prophétiques n’ont pas un caractère inéluctable. Le Dieu d’Israël aime surprendre. Un récit décrypté par Jesús Asurmendi
Nous connaissons tous l’histoire de Jonas. Il faut plutôt dire le récit-fiction de Jonas. Le livre qui porte son nom est inséré dans le corpus prophétique, formé par des oracles et des récits sur les prophètes. Le livre de Jonas est un récit sur le prophétisme, prenant pour prétexte pour ce faire une « anecdote », ou une tranche de la vie de Jonas. Celui-ci est présenté comme ayant reçu une parole du Seigneur lui ordonnant d’aller à Ninive, la capitale des Assyriens, pour proférer un oracle. Mais Jonas se met en route pour fuir, en bateau, à Tarsis, au sud de l’Espagne, aux antipodes de Ninive. Le nom du prophète est le même que celui d’un autre Jonas cité en 2 R 14, 25 – donnant ainsi une allure de réalité historique à celui du livre.
Qu’à cela ne tienne. Car le Seigneur, têtu, déchaîne une belle tempête. Ayant avoué en être la cause, Jonas est lancé à la mer, selon ses propres indications, par les marins et il est avalé par un gros poisson. Le poisson se rend vite compte que le plat avalé est indigeste et le vomit sur une plage, sauvant ainsi Jonas. Dieu insiste et l’envoie à nouveau à Ninive. Pas question maintenant pour Jonas de refuser et il y va. Le premier refus lui a déjà valu le surnom de « prophète récalcitrant ».
Les Ninivites se convertissent et Dieu pardonne. Entre-temps Jonas s’était mis sur une hauteur, à l’ombre d’un arbuste, pour se protéger du soleil qui tape fort. Le feu du ciel ne tombe pas car le Ninivites se sont convertis et Dieu a pardonné. Pendant ce temps-là l’arbuste protecteur meurt, attaqué par un ver malin. Jonas se fâche, privé de l’ombre de l’arbuste.
Et Dieu de lui dire : « Toi, tu as pitié de ce ricin, qui ne t’a coûté aucun travail et que tu n’as pas fait grandir, qui a poussé en une nuit, et en une nuit a disparu. Et moi, comment n’aurais-je pas pitié de Ninive, la grande ville, où, sans compter une foule d’animaux, il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne distinguent pas encore leur droite de leur gauche ? »
(Jonas 4, 10)
Méfions-nous des livres et des textes qui se terminent par une question. Ils sont redoutables. Comme la parabole de l’enfant prodigue, c’est toujours une affaire de miséricorde divine.
Pour un israélite moyen de l’époque postexilique (période où l’on situe habituellement le livre), Ninive est la capitale de l’empire du mal. En effet, les premières déportations avaient été réalisées par les Assyriens dont Ninive était la capitale. Envoyer un prophète à Ninive, c’est donc perdre son temps et tout à fait incongru. Mais le Dieu d’Israël aime surprendre et là, la surprise va être de taille.
Passé le premier étonnement du lecteur, arrive la scène sur le bateau où Jonas tente de fuir à Ninive. Pendant la tempête, Jonas dort paisiblement dans la cale, tandis que les marins, païens, prient. Le contraste est saisissant. Les marins sont donc offerts en modèles face à l’israélite récalcitrant. Et Ninive, où Jonas est allé, enfin, fait un retournement (sens du mot conversion) spectaculaire aussi rapide et complet qu’étonnant.
L’affaire de Jonas est un réquisitoire contre le nationalisme bête et borné – ce que le nationalisme est presque toujours. En effet, quand l’élection devient privilège et socle à développer un certain complexe de supériorité, c’est simplement un détournement de sens. Avec les conséquences que l’on connaît. C’est la tentation et le danger pour Israël, que l’élection devienne source d’affirmation de supériorité vis-à-vis des autres. Fonctionner suivant le schéma « nous et les autres » mettant dans le nous tout ce qui relève du positif et dans les autres l’ensemble de ce qui est négatif, en dehors du fait que c’est faux, cela ne peut que conduire à des conflits meurtriers.
Les oracles contre les prophètes sont presque une page obligée des livres prophétiques. Ils faisaient partie prenante de la mission prophétique. Le livre de Jonas, avec son renversement de perspectives, constitue un tournant dans cette littérature. Le chapitre 19 du livre d’Isaïe est un modèle du genre. Le prophète critique l’Égypte, sur qui s’appuyait Jérusalem dans sa révolte contre l’Assyrie. Mais tout à coup il y a un renversement et on prononce un oracle positif pour l’Égypte, un oracle de salut. L’Égypte est même qualifiée dans la bouche du Seigneur de « mon peuple », titre propre d’Israël (Is 19, 25). Qui dit mieux ?
Dans le Nouveau Testament le séjour de Jonas dans le ventre du poisson devient « signe » « annonce » du séjour dans la mort de Jésus, juste avant sa résurrection (Mt 12, 38-42 ; 16, 1-4 ; Mc 8, 11-12 ; Lc 11, 16.19-32).