La dernière tentation serait de minimiser la portée de la démarche synodale, en la réduisant à une affaire interne, d’organisation. Ou à une campagne de marketing, pour relancer un produit périmé. Et si, face à l’exode silencieux, aux églises qui se vident, le synode était la dernière chance, le kairós à saisir ?

«Le christianisme va-t-il mourir ? ». C’était en 1977. En historien des mentalités religieuses, Jean Delumeau s’interrogeait sur les causes d’une fin qui paraissait à beaucoup inéluctable[1]J. Delumeau, Le christianisme va-t-il mourir ?, Hachette, Paris, 1977.. À côté de la sécularisation, les méfaits du cléricalisme et de l’intolérance étaient déjà en bonne place parmi les coupables du déclin.

La basilique Saint-Pierre, Rome, Cité du Vatican- Photo by CALIN STAN on Unsplash
La basilique Saint-Pierre, Rome, Cité du Vatican.
Photo de Calin Stan sur Unsplash.

Qu’en est-il quarante-quatre ans après ? Multiplication des scandales, turpitudes de toute sorte, abus d’autorité et repli identitaire portent un coup fatal à la crédibilité du catholicisme et aggravent le diagnostic. Nous sommes au bord du gouffre, abasourdis et incrédules face à l’ampleur des dégâts et à l’inertie d’un personnel ecclésiastique incapable de se remettre en cause et de réaliser les réformes dont le pape François proclame la nécessité. Réforme des consciences, tout d’abord. Et puis celle, inévitable, des structures.
En Allemagne, le cardinal Marx a eu l’audace de dire que l’Église « est à un point mort » et que lui-même se considérait, en tant qu’évêque, coresponsable du désastre. En France, on déplore la « solitude » du cardinal allemand. Mais pour le reste, circulez, il n’y a rien à voir. Responsables ? Peut-être. Coupables, certainement pas. Et si quelque chose va mal, c’est le monde qui est mauvais. Vite, une neuvaine et une ostension de reliques !

Cet aveuglement collectif sur l’état de santé du catholicisme laisse songeur. Je dis bien du « catholicisme », car la remarque de Jean Delumeau est toujours d’actualité : « le Dieu des chrétiens était autrefois beaucoup moins vivant qu’on ne l’a cru et […] il est aujourd’hui beaucoup moins mort qu’on ne le dit »[2]Ibi, p. 149..
Toujours vivante est la parole de l’Évangile. Et c’est toujours dans le message d’un juif marginal vécu il y a plus de deux mille ans en Palestine que les chrétiens trouvent leur raison d’espérer.

Cette Église qui est la nôtre

Au lendemain de la fermeture du Centre Pastoral Saint-Merry, de nombreux amis et parfois nos enfants nous ont demandé : « Pourquoi restez-vous dans cette Église qui ne veut pas de vous ? ». Mais parce que l’Église n’est pas un club de parfaits, dont les trublions, les aveugles et les boiteux seraient exclus. Et nous l’aimons, l’Église, même quand elle se trompe et confond la pastorale avec la politique ecclésiastique. Nous l’aimons car, malgré ses imperfections, elle nous transmet l’Évangile, dont elle témoigne par ses prophètes et ses saints du quotidien. C’est l’Église hôpital de campagne chère au pape François, capable d’une parole de miséricorde et de tendresse, celle qui choisit les périphéries de l’histoire, qui va aux frontières sans demander de passeport ou de certificat de bonne conduite. C’est l’Église sainte et pécheresse, casta meretrix, disaient les Pères. Un oxymore qui ne déplaisait pas à Ivan Illich, théologien et historien des mentalités, mis à l’écart pour ses idées et son action auprès des populations de Puerto Rico et de Cuernavaca, au Mexique. Interviewé à la télévision au début des années 1970 par Jean-Marie Domenach, directeur de la revue Esprit, Illich n’hésita pas à répondre : « L’Église, c’est une putain, mais c’est aussi ma mère »[3]Voir : Jean-Pierre Dupuy, « Le véritable héritage d’Ivan Illich – sur une prétendue “sacralisation de la vie” (2/2) »,
AOC média, 21 janvier 2021
.
. Une mère dont le visage est aujourd’hui défiguré, mais qui s’interroge sur elle-même et se remet en marche, sur la route, en “synode”.

C’est cette Église synodale, cette utopie réaliste, que le Centre Pastoral Halles-Beaubourg a essayé de préfigurer tout au long de ses quarante-cinq ans d’existence. Une Église où la communion se vit dans la coresponsabilité et se traduit en mission, affaire de tous, pas seulement du clergé.

Rappelez-vous la femme de Loth. Qui cherchera à conserver sa vie la perdra et qui la perdra la sauvegardera.

Luc 17, 32-33
La femme de Loth - Cathédrale de Canterbury
La femme de Loth, vitrail, XIIe s., Cathédrale de Canterbury, UK.

Face à l’exode silencieux, aux églises qui se vident, le synode est la dernière chance. Fini les alibis, du Concile ou de Mai 68, considérés comme les déclencheurs de la crise. Oserons-nous dire que la réponse identitaire a été une catastrophe dont on commence à peine à mesurer l’ampleur, car elle a coupé l’Église de sa tradition véritable, jamais figée, en inventant une tradition imaginaire, régressive et faussement rassurante ? Pire : que la réduction du christianisme à une morale, un ensemble de préceptes et de valeurs prétendument non négociables, a éloigné beaucoup de fidèles et accéléré le divorce avec la modernité ? Faudrait-il ajouter que le réductionnisme moralisant de trop de sermons et de déclarations épiscopales est une trahison ? Et qu’il rend encore plus criante l’hypocrisie dans les affaires de mœurs ?

La chance du synode

Voici le temps de la conversion, le kairós du synode, l’opportunité d’un changement de cap. Un synode pour revenir à l’Évangile, en finir avec le cléricalisme, renouer le dialogue avec les hommes et les femmes de ce temps, changer les structures, en valorisant les charismes de chacun dans une logique de coresponsabilité, sans qu’aux différents ministères soit automatiquement associé un pouvoir de gouvernement, ainsi que le suggérait dans son dernier livre, son testament théologique, Ghislain Lafont, moine de La Pierre-Qui-Vire[4]Ghislain Lafont, Le catholicisme autrement ?, éditions du Cerf, Paris, 2020.. La dernière tentation serait de minimiser la portée de la démarche synodale, en la réduisant à une affaire interne, d’organisation. Ou à une campagne de marketing, pour relancer un produit périmé, voire la messe en latin et les vieilles dentelles.

« Rappelez-vous la femme de Loth. Qui cherchera à conserver sa vie la perdra et qui la perdra la sauvegardera. » (Luc 17, 32-33). Voilà l’enjeu : s’accrocher à un modèle moribond ou accepter de tout perdre pour trouver la vie.

Notes

Notes
1 J. Delumeau, Le christianisme va-t-il mourir ?, Hachette, Paris, 1977.
2 Ibi, p. 149.
3 Voir : Jean-Pierre Dupuy, « Le véritable héritage d’Ivan Illich – sur une prétendue “sacralisation de la vie” (2/2) »,
AOC média, 21 janvier 2021
.
4 Ghislain Lafont, Le catholicisme autrement ?, éditions du Cerf, Paris, 2020.
pietropisarra
Pietro Pisarra

Journaliste et sociologue, il a été correspondant de la télévision italienne à Paris et enseigné pendant presque vingt ans à l’Institut Catholique.
En français, il a publié « L’évangile et le web. Quel discours chrétien dans les médias », éditions de l’Atelier, 2000. En italien, il vient de publier « La mosca nel quadro. L’arte svelata », Ave, Roma, 2021.

  1. CLAVIER Jacques
    CLAVIER Jacques says:

    Hymne : Nuée de feu (Soleil levant)
    “Royal époux
    Promis aux noces de la croix
    Tu es venu
    réjouir les enfants (de Dieu) des hommes,
    Et tu changeas notre eau en vin.”
    (D. Rimaud)

  2. DRISIN Philippe
    DRISIN Philippe says:

    Oui bien sûr ! Mais le message du Christ ne peut tout simplement pas mourir, car il représente le phare vers lequel tend tout homme de bonne volonté quels que soient sa race, la couleur de sa peau, sa position sociale, son âge, et j’en passe!
    Seulement il faut le débarrasser de toutes les lourdeurs dont les religions chrétiennes l’ont inutilement enveloppé.
    J’ai écrit en ce sens un petit livre “Dieu a-t-il un plan ?” (FNAC 11€) Philippe Drisin

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