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Léon et François. Même combat ?

Qu’ont-ils en commun Léon Gambetta et François ? L’homme politique de la Troisième République et le pape du XXIe siècle ? L’un et l’autre dénoncent une logique de pouvoir. La chronique d’Alain Cabantous du 21 février 2014.

Nous vous proposons les articles de cette chronique effacés de notre ancien site en mars 2021, lors de la fermeture du Centre Pastoral.

Léon Gambetta (1838-1882)

Le 4 mai 1877, en achevant sa péroraison devant la Chambre des députés par la célèbre formule « le cléricalisme voilà l’ennemi », empruntée à Alphonse Peyrat, Léon Gambetta fustigeait la collusion de l’Église avec les pouvoirs politiques récents, dénonçait ces liens vénéneux entre « le sacerdoce et l’Empire » et le penchant de plus en plus sensible de la hiérarchie catholique française, face à l’instauration de la République, horresco referens !, à se tourner ostensiblement vers Rome à quelques exceptions près, où – après le Syllabus – Pie IX avait doté la papauté de l’infaillibilité pontificale. C’est cette prétention d’une infime minorité à régir les consciences de l’humanité en vertu d’une mission spécifique, qu’il fallait combattre. Prétention qui cherchait appui sur les régimes les plus conservateurs sinon les plus rétrogrades pour parvenir à ses fins. Si cette dénonciation résulte à la fois de l’héritage des Lumières et de la prise en compte du contexte national et international, elle n’est en aucun cas chez Gambetta une profession d’athéisme militant. C’est un combat contre les ambitions toujours à l’œuvre dans l’Église : le pouvoir.

Lorsque le pape François, après une année de pontificat et un très grand nombre de discours ou d’interviews, dénonce « la cléricalisation de l’Église du Seigneur », il se place évidemment sur un registre différent de l’orateur français. En effet, pour François, la cléricalisation de l’institution, marquée par la domination des ordonnés sur les autres baptisés et par le carriérisme, fossilise l’Église ; elle en fait une forteresse qui s’encombre de préceptes, par crainte d’accueillir le monde tel qu’il est. Cléricaliser l’Église relève, écrit-il, « d’une hypocrisie pharisienne » puisque les fonctionnaires du culte pensent être dans leur bon droit en disant aux hommes « entrez par ici que nous vous disions les règles à suivre » alors que Jésus, ajoute le pape, « nous montre une autre voie : sortir ! » Ce qui conduit les clercs, à imposer le légal avant de proposer l’Évangile, à avoir ainsi, en toute bonne foi, si l’on peut dire, une « attitude autoréférentielle » suffisante.

Si Gambetta se place hors de l’institution pour dénoncer cette si longue dérive de l’Église catholique, François l’interroge de l’intérieur. Pour autant, leur constat est assez proche. L’un et l’autre dénoncent une logique de pouvoir, remettent en cause un statut qui d’un côté permet de s’immiscer dans les affaires publiques en ignorant la pluralité des sensibilités chrétiennes et de l’autre s’autorise à présenter souvent la Bonne Nouvelle à coup de textes canoniques et d’interdits. Avec des visées différentes, ils se rejoignent aussi pour questionner l’histoire au moins de la réforme grégorienne (fin du XIe siècle) au concile de Trente (1545-1563), donc de l’intervention du pouvoir pontifical dans la sphère temporelle, au nom de la supériorité du spirituel, jusqu’aux effets abusifs de l’état de prêtrise. Peu à peu tenu pour l’homme du sacrifice, le prêtre devint celui qui se pensait comme le seul intermédiaire entre le divin et l’humain, l’homme de la séparation qui vivait autrement que les laïcs et par là prétendait leur imposer les règles apprises de sa hiérarchie. Alors que le concile de Vatican II avait tenté de modifier un peu l’ordre des choses, depuis deux décennies environ, les caractères identitaires de la cléricalisation se réaffirment dans une partie du jeune clergé, spécialement issu des mouvements de « la nouvelle évangélisation ». Jusqu’à imposer des décisions aussi ridicules et aussi mesquines autour des gestes de la communion, du scrupuleux respect des rites, du port de la soutane ou de la présence suspecte des « servantes de l’autel » dans le chœur ! Sans parler, et c’est plus grave encore, des refus de sacrements en raison de situations matrimoniales « illégales » ou d’un état de grâce qui laisserait à désirer ! Pour autant, les laïcs « en mission ecclésiale » ne sont pas exempts de ce travers redoutable.

Ceux des prêtres, jeunes ou non, ou des évêques qui vouaient une sorte d’adulation à Jean-Paul II et à Benoît XVI pour avoir largement conforté cet état d’esprit, chacun à sa manière, vont-ils entendre, sinon Léon, du moins François pour « sortir » enfin des sacristies, quitter les dentelles et la multiplication des génuflexions, ne plus se comporter en « douaniers de l’Église » afin de témoigner d’abord de la joie de l’Évangile au risque de se confronter à un monde qui parfois, et ils en seront peut-être surpris, ne les attend plus.

Oui, pour un chrétien aussi, le cléricalisme voilà l’ennemi !

le 21 février 2014

alain.cabantous
Alain Cabantous

Historien, spécialiste de l'histoire sociale de la culture en Europe (17e-18e s.), professeur émérite (Paris 1 - Panthéon-Sorbonne et Institut Catholique de Paris). Dernières publications : Mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentale aux XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Cerf, 2022 ; Les tentations de la chair. Virginité et chasteté (16e-21e siècle), avec François Walter, Paris, Payot, 2019 ; Une histoire de la Petite Eglise en France (XIXe-XXIe siècle), Le Cerf, 2023.

  1. CLAVIER Jacques
    CLAVIER Jacques says:

    Pour dénoncer la dérive de l’Église catholique, j’interroge, de l’intérieur, en qualité de chrétien, en ces termes : “Je n’ai que mon incompétence à offrir à l’Église catholique, elle qui enseigne dans la chaire de Jésus.”

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