« Je suis stupéfait, et rassuré, de voir Jésus qui discute avec les prostituées, avec un inspecteur des impôts pas tout à fait réglo, avec un centurion romain qui est plutôt un impérialiste. Et il discute ! Il va discuter avec les pharisiens, avec les scribes ; il ne dit pas : “il n’y a pas de problème ! On est tous d’accord !” Mais il va ouvrir le dialogue, car si nous voulons partager une Bonne Nouvelle, il faut ouvrir ce dialogue. Donc, j’insiste là-dessus, le Centre pastoral n’est pour rien dans la cabale contre une personne qui s’appelle Michel Aupetit, absolument pour rien. Par contre, le Centre pastoral prend toute sa responsabilité pour dire : il est temps de nous interroger sur la manière dont nous voulons animer l’Église, non pas pour elle-même, non pour faire tourner une boutique, mais pour que ce lieu, cette communauté d’Église, soit au service de l’annonce de l’Évangile et au service de l’humanité qui attend du sens ».
Interviewé par RCF (Radio Chrétienne Francophone), Guy Aurenche revient sur les polémiques qui ont conduit à la démission de l’archevêque de Paris.

Le Grand Invité, émission présentée par Étienne Pépin, 03.12.2021
Avec Guy Aurenche

É. Pépin : Guy Aurenche, bonjour !

G. Aurenche : Bonjour à chacune, à chacun.

Q. : Merci d’être notre invité ce matin. Hier le pape François a pris une décision aussi rapide qu’est profonde et douloureuse la crise qui secoue le diocèse de Paris depuis quelques années. À l’origine de cette crise, donc, plusieurs affaires traitées brutalement par Mgr Aupetit comme la fermeture du Centre pastoral Saint-Merry, le renvoi du directeur de Saint-Jean-de-Passy, la démission, coup sur coup, de ses deux vicaires généraux et puis il y a eu cet épisode plus ancien, remontant à 2012 ; à cette époque, Mgr Aupetit aurait entretenu une liaison avec une femme. Il réfute toute relation amoureuse ou relation sexuelle avec cette personne, il reconnaît une situation ambiguë, à laquelle il avait dû mettre un terme.
Guy Aurenche, la crise que traverse le diocèse de Paris pose de nombreuses questions sur la gouvernance de l’Église, sur le rôle des évêques, la place des laïcs, la synodalité… on va en parler. Mgr Aupetit explique, dans une courte vidéo publiée hier, qu’il a remis sa charge au pape, pour préserver – je cite – le diocèse de la division que provoquent toujours la suspicion et la perte de confiance ; il va partir, mais, Guy Aurenche, est ce que vous auriez préféré que l’Église trouve des voies de dialogue entre l’archevêque de Paris et les fidèles ?

R. : Vous savez, j’ai toujours été quelqu’un qui plaidait, puisque je suis un ancien avocat, qui plaidait pour le dialogue, et l’histoire de Saint Merry, aujourd’hui Saint-Merry Hors-les-Murs, c’est une histoire de demande de dialogue et je voudrais dire, tout d’abord, que je vis cet événement comme un élément de la crise de l’Église, et je précise que cette Église, je l’aime, que cette Église, je lui dois de m’avoir transmis le message vivant de Jésus et ça, pour moi, c’est essentiel et à partir de là, vous avez utilisé vous-même le mot crise, et dans le mot crise il y a les douleurs, il y a les ruptures et je pense à tous ceux et celles qui vont vivre cet évènement très très douloureusement. Et puis, dans le mot crise, il y a le mot « renaissance », alors ça ne veut pas dire qu’il ne s’est rien passé, ça veut dire : « comment est-ce que nous allons poser les vraies questions ? Je dois vous dire que j’ai regretté que certains médias – je ne parle pas de RCF, bien sûr – aient mêlé ces problèmes d’animation, de gouvernance, d’autoritarisme dans la manière de gérer le diocèse de Paris, avec une histoire de relation féminine hypothétique et cætera. Le problème c’est, pour nous, quel est le visage d’Église ? Et c’est là, j’espère, que nous pourrons rebondir les uns les autres et rebondir ensemble !

Q. : Avec le Centre pastoral Saint-Merry, vous êtes cité dans l’enquête du journal Le Point qui a mis un peu le feu aux poudres la semaine dernière. Saint-Merry, c’est cette paroisse expérimentale, on va dire ça comme ça, lancée en 1975 par le cardinal Marty, une expérience ecclésiale originale de synodalité, de coresponsabilité à laquelle Mgr Aupetit a mis fin en début d’année 2021, c’est ça aussi qui est douloureux, c’est ça aussi pour vous l’échec, ça n’a pas été possible d’entrer en contact avec Mgr Aupetit pour essayer d’avancer sur ce sujet.

Photo de Priscilla Du Preez sur Unsplash

R. : Le Centre pastoral a été créé, il y a 45 ans, pour ouvrir des chemins nouveaux au service de l’ Église de Paris. Ouvrir des chemins nouveaux… et nous n’avons pas compris, oui je dirais, la brutalité, l’absence totale de dialogue : aucune personne, aucune personne du Centre pastoral n’a été reçue par l’archevêque avant sa décision, aucune personne ; j’ai, au nom du Centre pastoral, écrit quatre lettres à l’archevêque qui étaient des lettres tout à fait fraternelles, même si nous étions en désaccord, pour lui demander un dialogue. Nous n’avons même pas reçu un accusé réception et là, pourquoi ça m’a blessé, ça nous a blessés, parce que ouvrir des chemins nouveaux pour l’Église de Paris ou d’ailleurs, ça veut dire entrer en dialogue, entrer en dialogue avec le monde, avec la société et entrer en dialogue, si possible, entre nous ! Comment est-ce que nous pouvons annoncer une Bonne Nouvelle et dire que la vie de l’humanité, c’est possible, l’Amour entre nous, c’est possible, comment nous pouvons oser prétendre l’annoncer si, entre nous, nous ne dialoguons pas ; oui une grande souffrance par ce refus de dialogue avec ce qui était – oh, non pas du tout une communauté modèle, mais un visage, l’un des visages… de l’Église.

Q. : Mais, Guy Aurenche, est ce que justement le Centre pastoral Saint-Merry n’a pas aussi son  rôle, sa responsabilité dans ce qui s’est passé ? On sait que cette communauté particulière a été très critique de, justement, de la gouvernance de l’Église, à la fois dans le diocèse de Paris, mais, en général, dans l’Église dans son ensemble.

R. : Pourquoi elle est critique ? Ce n’est pas par le plaisir d’être critique. Vous savez, moi, j’ai 75 ans… maintenant, être critique, ça c’est fini ! C’est parce que le non-dialogue, le refus du contact, c’est pour moi non seulement un défaut, je dirais de gestion humaine, mais c’est surtout un geste anti-évangélique. Je suis stupéfait, et rassuré, de voir Jésus qui discute avec les prostituées, avec un inspecteur des impôts pas tout à fait réglo, avec un centurion Romain qui est plutôt un impérialiste. Et il discute, il va discuter avec les pharisiens, il va discuter avec les scribes ; il ne dit pas : «  y a pas de problème ! On est tous d’accord ! », mais il va ouvrir le dialogue, car si nous voulons partager une Bonne Nouvelle, il faut ouvrir ce dialogue. Donc, j’insiste là-dessus, le Centre pastoral n’est pour rien dans la cabale contre une personne qui s’appelle Michel Aupetit, mais absolument pour rien, oui par contre le Centre pastoral prend toute sa responsabilité pour dire : il est temps de nous interroger sur la manière dont nous voulons animer l’Église, non pas pour elle-même, non pour faire tourner une boutique, ce n’est pas ça le problème, mais pour que ce lieu, cette communauté d’Église soit au service de l’annonce de l’Évangile et au service de l’humanité qui attend du sens, donc j’insiste là-dessus, pas de cabale personnelle, mais vraiment une invitation modeste, une invitation ferme à réfléchir sur le visage de l’Église de demain pour qu’elle soit à la hauteur de ce message, oui, d’amour, de fraternité, de convivialité possible !

Q. : Est-ce que, ce que vous dites, c’est qu’il y a un grand décalage entre le désir de synodalité – donc de cheminer ensemble – qui est proposé par le pape François et la gouvernance de l’Église, au plus près dans la proximité ? Il y a un décalage comme ça, entre l’ambition du pape et puis la réalité des communautés locales ?

R. : Je dirais presque que le mot décalage est trop faible ! Rien n’est prévu ! Quel est le recours quand une communauté comme la nôtre se voit supprimée, sans aucun contact préalable, quel est le type de recours ? Lorsque l’archevêque ne répond pas ! Donc, j’invite, non pas à critiquer l’archevêque, c’est pas ça du tout mon problème, mais l’Église, la communauté à mettre sur pied des lieux de recours, des lieux de dialogue. Nous avons même proposé de travailler avec le médiateur de l’archevêque de Paris, nous n’avons jamais reçu la moindre réponse ; donc le décalage, c’est trop faible ! Oui, c’est une transformation radicale : l’autorité ne vient pas d’en-haut, l’autorité vient de la communauté qui essaie d’écouter le message de Jésus, voilà ! Et quel est le rôle du prêtre, par exemple ? Et je ne suis pas du tout anti-prêtre ! J’ai un frère aîné qui est prêtre il y est heureux, très heureux de l’être ! Donc quel est le rôle du prêtre ? Quelle est la coresponsabilité ? Et c’est là-dessus, entre autres, qu’il y a eu des problèmes entre certains curés de Saint-Merry et le Centre pastoral, parce qu’il s’agissait de partager cette responsabilité. Par exemple, aussi, quelle est la capacité d’innovation ? Nos liturgies n’avaient rien d’anormal ! Elles étaient belles, elles comportaient tout ce qu’il fallait !

Q. : Ça vous est reproché ça, quand même, Guy Aurenche ça vous est reproché, finalement, de réécrire un petit peu ! Mais bon, ça n’empêche ! Est-ce que, Guy Aurenche, vous voudriez que l’expérience de Saint-Merry serve la synodalité dans le diocèse de Paris et participe, justement, à la démarche synodale du pape François ? Vous voulez être dans cette initiative-là ? Vous avez écrit, justement la semaine dernière, à Mgr Aupetit, vous l’appelez d’ailleurs « frère Michel » et vous lui suggérez, carrément, d’organiser un rassemblement du peuple de Dieu qui vit à Paris !

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R. : Oui, mais parce que nous sommes, justement, dans cette phase de propositions : vous avez mentionné tout à l’heure, le livre que nous avons écrit : Et vous m’avez accueilli – Contributions pour une Église vivante aux éditions Salvator.  Voilà, il y a huit thèmes qui, à partir de témoignages très vivants, veulent contribuer à ce chemin synodal. Faire route ensemble, ça veut dire : on s’écoute, on se rencontre, y compris dans nos différences et dans nos divergences, mais on travaille; ce n’est pas parce qu’on est critique qu’on n’est pas intelligent ! Donc à nous de travailler ; oui j’appelle, –  alors peut être que l’assemblée du peuple de Dieu, c’est une expression maladroite – je parlerai aujourd’hui d’une assemblée ecclésiale. Il a été fait état d’une très belle assemblée ecclésiale pour toute l’Amazonie comme le souhaitait le pape François : 40 % de laïcs, 20 % de prêtres et de religieux ou religieuses, et d’autres personnes qui n’appartenaient pas à la religion catholique. Voilà une assemblée ecclésiale qui met les questions sur la table, franchement, honnêtement, non pas pour elle-même, mais au service de la Bonne Nouvelle. Nous avons besoin d’une Bonne Nouvelle ! En tout cas moi, j’en ai besoin, mes petites filles en ont besoin ; je pense que l’Église a besoin de se mettre davantage au service de cette Bonne Nouvelle de la vie, la vie possible, vraiment ! Alors travaillons, ouvrons, pourquoi pas, cette assemblée ecclésiale !

Q. : Alors comment peut se jouer la relation, dans ce cas, entre les fidèles et les prêtres ? Vous avez dans cette lettre ouverte que vous avez écrite à votre frère Michel, tel que vous l’appelez, justement, vous parlez de cette spécificité, de la mission du prêtre, est ce que nos relations entre fidèles et prêtres doivent être aujourd’hui plus horizontales pour essayer d’avancer ensemble ? C’est ça que vous dites ?

R. : Plus horizontales ou plutôt plus fraternelles, ça veut dire que du côté des laïcs, comme du côté des prêtres, on réfléchit ensemble ! Moi j’aime bien l’expression du père Congar, un théologien dominicain, qui disait : il y a trois symboliques chez le prêtre :

  • le prêtre, c’est le lieu, c’est une symbolique temporelle, il nous relie à toute l’histoire de l’Église.
  • c’est une symbolique, c’est un symbole, un signe de l’espace, c’est-à-dire qu’il nous relie à l’ensemble de la communauté.
  • et puis, c’est une symbolique d’altérité : le prêtre est là pour nous dire : “mais ce n’est pas vous qui décidez de votre mission, vous l’avez reçu cet appel à annoncer l’Évangile !”

Et ça, cette symbolique, … et bien parlons-en, mettons les choses au point – horizontalement, ça semble négatif -, fraternellement, c’est possible, nous l’avons vécu pendant des années à Saint-Merry, nous allons pouvoir le revivre demain !

Q. : Est-ce qu’il y a une dimension missionnaire là-dedans ? Est-ce que, justement, l’Église peut sortir d’elle-même ? « Être en sortie », comme le dit le pape François, pour aussi aller toucher à l’extérieur, ne pas rester enfermée sur elle-même ?

R. : Mais l’Église, elle est déjà en sortie ! L’Église, elle est déjà en mission ! Alors il y a parfois des blocages, des accros, parce qu’une institution a tout d’un coup remis sur pied un système pyramidal : « moi je sais ! Vous vous ne savez pas et si vous ne savez pas, vous allez quand même obéir ! » Et bien non, ça, ce n’est pas possible, encore moins possible dans la société de 2021. Donc, oui, en mission l’Église l’est, et moi je suis en admiration avec ces hommes ces femmes clercs ou pas clercs, laïcs qui sont au service de cette mission et je pense à eux, au cœur de cette crise, parce qu’ils doivent en souffrir. Ensemble, nous pouvons dépasser cela mais, à condition, je répète, de nous respecter fraternellement ; le pape a parlé de « Tous frères », je prends cet appel au sérieux !

Q. : Qu’est-ce que vous espérez pour le diocèse de Paris, pour les prochains mois, avec Mgr Georges Pontier, qui va être l’administrateur apostolique, là, pour les prochaines semaines, les prochains mois, avant qu’un nouvel archevêque de Paris soit nommé qu’est-ce que qu’est-ce que vous souhaitez, là, pour les prochaines semaines ?

R. : Georges Pontier va apaiser les relations. Est ce qu’il va pouvoir ou souhaiter, parce que je ne sais pas le temps dont il disposera, lancer des contacts ? Nous allons reprendre contact, bien évidemment, avec Georges Pontier, dès que possible ! Est-ce qu’il oserait dire, comme un service qu’il rendrait : « lançons cette assemblée ecclésiale ! », non pas pour prendre des décisions, parce que c’est le successeur de Michel Aupetit qui va les prendre, mais pour lancer un terrain de dialogue : parlons, discutons, mettons sur le tapis les choses qu’il faut discuter entre nous et puis alors, on s’arrête là et c’est le successeur et l’équipe qui va venir qui prendra les décisions nécessaires. Je pense que Georges Pontier peut le faire, c’est mon appel !

Les pèlerins d'Emmaüs - santo Domingo de Silos - Espagne - XIIe s.
Maître anonyme, Les pèlerins de Emmaüs (détail), XIIe siècle, Santo Domingo de Silos, Espagne

Q. : Merci beaucoup, Guy Aurenche, d’avoir été notre invité ce matin, je rappelle que vous êtes ancien président du CCFD Terre solidaire, membre du Centre pastoral Saint-Merry, auteur, avec plusieurs membres de cette communauté à Paris, de ce livre : « Et vous m’avez accueilli – Contributions pour une Église vivante », Ed. Salvator.

R. : Merci beaucoup.


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Guy Aurenche

Avocat honoraire, membre de la Commission Droits de l’homme de Pax Christi, ancien président de l’ACAT et du CCFD-Terre solidaire. À lire de Guy Aurenche : « Droits humains, n’oublions pas notre idéal commun ! », éd. Temps présent, 2018.

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