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Le 24 avril, sauvons la fraternité

Si vous ne l’avez déjà fait, précipitez-vous pour visionner sur Arte le documentaire en quatre volets qui explore l’histoire de l’antisémitisme de l’Antiquité à nos jours. On a beau connaitre le fonctionnement de la théorie du bouc émissaire, comme une donnée de base de l’anthropologie et de la psychologie sociale, et le déroulement des évènements historiques où elle s’est retrouvée mise en œuvre, c’est proprement glaçant de constater dans le détail l’enchainement des faits et leurs conséquences. Oui, de paisibles populations, éprouvées par des difficultés économiques et sociales, sont, à tout moment, capables de basculer dans l’horreur de la violence aveugle, chaque fois que L’État ne tient pas son rôle de protecteur des droits de tous, ou pire, quand il encourage ces débordements par populisme, toutes époques confondues.

La démagogie avec laquelle, comme en ces périodes noires, les sympathisants du Rassemblement National font peser la responsabilité de tous les maux que nous affrontons sur les immigrés et sur eux seuls, – ou sur l’indulgence coupable dont ils auraient bénéficié de la part des gouvernements républicains successifs -, me fait froid dans le dos, quand je constate que la moitié de nos concitoyens sont prêts à faire confiance à leur candidate pour régler les problèmes du pays, aux cris pour certains de : « on est chez nous ! ». Son concurrent immédiat est resté sur une problématique culturelle, déjà nauséabonde, là où elle établit des liens directs (quoi que mensongers) avec le pouvoir d’achat, faisant monter les capacités d’exaspération et de haine dont sont hélas capables des populations en grandes difficultés sociales. Et si d’ex-gilets jaunes, au lieu de réclamer en hurlant que la femme du Président de la République soit mise « à poil » sur leur tas de palettes en flammes, comme on l’a entendu, mettaient désormais directement le feu aux logements et boutiques des immigrés contre lesquels on les monte sciemment ? Qui pourra tomber des nues ? Que n’a-t-on pas déjà vu commettre par une foule en colère manipulée ?

Dans le documentaire que j’évoquais ci-dessus, la responsabilité directe de l’Église institutionnelle est malheureusement très précisément attestée et documentée, en diverses occasions. Nous n’en sommes clairement plus là, et c’est heureux. En revanche, le silence, – pardon, les bafouillis -, de nos évêques me consternent. Je vois bien leur problème : il est cette fois avéré qu’un fort pourcentage de personnes se déclarant catholiques, y compris de nombreux pratiquants réguliers, ont voté pour la candidate en question. Alors maintenant, de deux choses l’une : ou bien les évêques pensent que ce n’est pas un problème en soi, et là, j’ai beau savoir tout ce que je sais sur les turpitudes de l’Église, il y a de quoi dégringoler encore de quelques marches dans le découragement et le dégoût où elle nous plonge ces derniers-temps ; ou nos frères prélats n’osent pas dire trop fort une parole dont ils constatent le manque d’audience et d’efficacité, par peur d’être encore plus marginalisés, voire de perdre quelques plumes supplémentaires dans le denier du culte, et là nous sommes face à un scandaleux refus d’assumer sa vocation de témoigner à temps et à contre-temps de ce qui fonde notre foi. Je sais que bien des chrétiens peuvent être secoués par les évolutions de notre société et les choix bioéthiques de l’actuelle majorité au pouvoir, qui entérine l’une après l’autre ces évolutions. Mais devons-nous nous claquemurer hors du monde ou contre lui, ou bien continuer à donner notre avis, notre témoignage, nos protestations s’il y a lieu, au sein du régime démocratique et de libre expression dans lequel nous avons la chance de vivre ?

La droite française s’est toujours égosillée sur la liberté. La gauche était censée avoir l’égalité comme cheval de bataille. Mais tous les républicains ensemble n’ont eu de cesse de revendiquer la fraternité comme notre idéal commun, valeur directement issue de l’Évangile qui a irrigué notre civilisation dès ses origines, valeur dont se réclame spécifiquement Eric de Moulins-Beaufort, Président de la Conférence des évêques de France, dans son communiqué qui tourne autour du pot. Comme le constate Isabelle de Gaulmyn dans La Croix (magazine des 16-17 avril 2022) : « Il serait terrible que l’Église renonce à parler ».

Blandine Ayoub

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Blandine Ayoub

Née au moment du Concile Vatican II, elle est impliquée depuis près de 40 ans dans la communauté de Saint-Merry, tout en cultivant un tropisme bénédictin, grâce à son père moine de la Pierre-Qui-Vire. Par son mariage avec un Alepin, elle a également adopté la Syrie comme deuxième patrie. Elle est responsable d’un centre de ressources documentaires dans un centre de formation professionnelle de la filière éducative et sociale.

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