Douze jeunes artistes des favelas de Recife présentent Roda Favela, un spectacle bouleversant en tournée à travers l’Europe. Explosions de violence alternant avec des passages de tendresse et, plus forte que tout, la joie !
Nous sommes allés voir Roda Favela à Bruxelles avec Isabelle et Jean-Marc, trois membres de la commission Partage-Solidarité Internationale qui soutient, au nom de toute la communauté de Saint-Merry Hors-les-Murs, l’association Pé No Chao, œuvrant pour les jeunes des favelas de Recife.
Pour mémoire
Conséquence de la politique d’abandon et d’exclusion des populations des favelas, un climat de violence allant jusqu’au meurtre y règne, avec aussi la concentration du trafic de drogue. Dans ce contexte le Groupe Pé No Chao a lancé, soutenu par la commission Partage-Solidarité Internationale, le projet : Les Tambours de la Paix. La présentation du projet est ICI
Les jeunes apprennent à fabriquer eux-mêmes leurs instruments de musique, le Berimbau et le Pandeiro, instruments qui sont parmi les plus importants symboles de résistance dans l’histoire des peuples afro-brésiliens. Ainsi notre communauté participe à la lutte contre le racisme et les violences meurtrières.
Le spectacle
Après un accueil en musique et en cris de joie, le spectacle commence par la danse solitaire d’une jeune femme aux formes bien marquées qui présente ses rondeurs au public avec une souplesse étonnante. Ensuite arrivent des personnages dont un m’a spécialement marquée, son surnom est Cure-dent, tant il est maigre. Il joue un personnage perdu et déhanché, tenant à peine sur ses jambes. J’ai d’abord pensé qu’il avait vraiment une personnalité psychotique, puis en le suivant dans le cours du spectacle, en le voyant danser et jouer des percussions, et en saisissant la lumière de son regard, j’ai compris que c’était un acteur admirable. À partir d’une certaine fragilité personnelle probablement, il crée un personnage tragique qui se transforme en un musicien magique. À la fin du spectacle, quand je suis allée le féliciter, il m’a serrée dans ses bras.
Des têtes apparaissent et disparaissent fréquemment aux nombreuses portes et fenêtres du décor, des corps montent sur les toits, sautent en descendant, dansent de toutes manières sur la musique jouée par d’autres ; parfois dans un vacarme inouï, parfois dans une finesse extrême. On entend aussi, dans un temps de silence et d’obscurité, une femme jouer du tambour délicatement et savamment.
Par moment, nous voyons des images filmées de la vie dans les favelas, ce qui permet de comprendre que la fiction théâtrale n’est pas loin de la réalité.
Et toutes ces mains qui sortent des fenêtres, sans corps et sans visages, que réclament-elles, qu’offrent-elles ? Semblant se démultiplier à l’infini, elles m’ont beaucoup émue et interrogée.
Une autre scène présente une danse des chevelures afro mises en évidence dans la torsion du corps, on ne voit plus qu’elles, bougeant au rythme d’une musique effrénée. Les artistes sont fiers de leurs racines africaines et ils ont raison de l’être.
Des récits se racontent, des anecdotes de la vie quotidienne, un père frappant violemment son fils, un homme, hors de lui, menaçant de tuer tout le monde. La tristesse et la colère de tous, à la mort de l’un d’entre eux, ce qui est effectivement arrivé. Marconi est mort assassiné à 20 ans, c’était un ami de Cure-dent.
Mais il y a des scènes qui font rire, par exemple un mariage joué avec beaucoup d’humour. Et encore bien d’autres évènements impossibles à conter, il faut y aller, voir et entendre. Et surtout se laisser prendre dans cette énergie qui vous électrise, pour en ressortir plein de joie.
La mise en scène
Laurent, le metteur en scène, nous a dit travailler à partir des improvisations des jeunes comédiens. Et aussi à partir de leur fragilité. À partir de la singularité de chacun, il fabrique une action collective, je dirai même une œuvre universelle à partir du génie singulier, génie au sens de créativité personnelle.
La sensibilité ou la colère se transforme, par l’énergie du corps et la proximité des autres, en une œuvre d’art qui régénère les spectateurs autant que les comédiens.
Nous assistons à une mise en acte de l’exhortation de Nietzsche : danser sa vie, « sauter par-dessus soi-même ». Au sens propre comme au sens figuré !
Ce qui permet aux comédiens de retrouver la dignité de leur culture, de leurs origines.
Je me permets de citer Laurent Poncelet, metteur en scène professionnel, dans son livre Debout ensemble[1]Debout ensemble, Nouvelle Cité édt., 2022
« Nous œuvrons à briser les segmentations sociales et à faire vivre sur un plateau de théâtre des voix et des corps invisibles dans la société brésilienne.
Nous partageons un sentiment d’urgence à faire entendre le cri de celles et ceux qui sont en marge, relégués et invisibles. Ce cri, par sa force et sa singularité,
parle de notre humanité ; il ouvre les yeux, les cœurs et les consciences
sur les réalités de notre monde, plus encore, sur notre condition humaine. »
Oui ce spectacle nous fait passer du singulier à l’universel. Le mot invisible, répété par Laurent, indique bien ce souhait de rendre à la visibilité et de faire entendre ces jeunes des favelas de Recife. Pari largement gagné !
Et quelle reconnaissance pour eux, cette tournée au Brésil et en Europe !
Quant à Jocimar, l’animateur de l’association O Grupo Pé No Chao, nous avons pu parler avec lui grâce à un interprète improvisé et il nous a fait don de cette formule magnifique :
La joie est un principe de résistance politique.
Un grand merci à lui, à Laurent et aux douze comédiens.
Geneviève PM
Pour la Commission Partage-Solidarité Internationale
Notes
↑1 | Debout ensemble, Nouvelle Cité édt., 2022 |
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