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Migration-intégration : des témoins partagent leur aventure

Les opinions divergent sur la question des migrations à travers le monde et de l’accueil des personnes étrangères en France. La loi récente, curieusement « adoptée » sans vrai débat démocratique, puis « censurée » partiellement par le Conseil Constitutionnel, ouvre la discussion. Parlons-en !

Avant tout, n’oublions pas qu’il ne s’agit pas d’abord d’un problème, mais de personnes, dont nous partageons l’humanité et qui partagent la nôtre. Elles relancent le défi éternel de l’hospitalité.
Il est stimulant, avant d’aligner des arguments contradictoires, d’oser la rencontre grâce aux expériences de personnes de notre communauté.

Penser ensemble notre vie commune

Les « étrangers »… étiquette unique qui uniformise… de plus en plus insupportable et absurde… Ne sommes-nous pas appelés à penser ensemble notre vie commune ?
Aujourd’hui, pour moi, ce sont aussi ces 15 jeunes femmes inscrites dans un cours pour apprendre le français. Elles en attendent beaucoup quand elles viennent s’inscrire : pouvoir comprendre ce qui est écrit partout, déchiffrer les mots de la maitresse ; remplir soi-même les papiers ; ne pas faire honte aux enfants : « ils disent que je ne sais pas parler avec des petits mots »… Il s’agit des pronoms, des articles, conjonctions, etc.
Les « apprenantes » cherchent à se débrouiller seules. Il y a quelques jours, à la fin d’un jeu de rôle (sur la prise de RV à l’hôpital) ; nous entendons soudain H. rire : « Maintenant je parle seule au docteur. Il comprend ce que je dis », fière d’elle-même… Elle a raison de l’être et on sourit du même sourire qu’elle. Pourtant, plusieurs de nos « apprenantes », comme H., ne sont jamais allées à l’école.

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Chacune est venue parce que la vie là-bas était difficile, souvent insupportablement difficile… ou parce qu’elle la voulait meilleure. Partir, même avec l’accord de la famille ? Il faut une sacrée dose d’audace, de volonté notamment, pour une femme !
Du courage, de la volonté, il en faut aussi pour aller apprendre à lire et à écrire après une journée de ménage. Levées tôt, elles sont plusieurs dans nos cours qui somnolent une peu l’après-midi… une façon de signaler avec raison que le cours, ce jour-là, n’est pas assez dynamique !
Ces cours sont l’occasion, peu à peu, de mieux nous comprendre : tant de problèmes viennent tout simplement d’un manque d’attention et de patience pour se comprendre, pour donner à l’autre les clés pour comprendre, et de mesurer les progrès de nos « apprenantes » à la mesure de notre compréhension.
Un jour où nous étions en panne de garderie pour les tout-petits, je propose à une maman d’aller promener le petit Moussa dans sa poussette pour qu’elle puisse travailler plus efficacement. Nous suivons une dame qui nous précède avec un drôle de petit chien… Moussa est tout excité en se rapprochant du chien… la propriétaire du chien m’aborde : « Il est à vous, cet enfant » me dit-elle tout étonnée. Elle engage la conversation : sénégalaise, elle s’étonne de voir une dame blanche avec un enfant noir. Je lui parle de l’Alpha… « Elles ont de la chance, ces dames », me dit-elle.
Et si cette dame nous avait vues ensemble au Musée Carnavalet, évoquer en riant les meubles ou les bibelots que nous verrions bien chez nous… ou frémir d’horreur devant la représentation de la Saint-Barthélémy. Ensemble !
D’où venons-nous ? Dans quelle ignorance les uns des autres sommes-nous éduqués ? Il est grand temps de nous ré-humaniser ! L’accueil de l’étranger peut y contribuer.

Blandine A.

Face aux défauts de l’accueil en France

Impliqués dans l’accueil des migrants au travers des associations JRS Welcome et la Cimade, nous avons côtoyé plusieurs centaines de migrants au cours des cinq dernières années.
Toutes ces rencontres nous ont fait voyager à moindre frais, découvrir d’autres cultures, et ouvrir les yeux sur des réussites mais surtout les défauts de l’accueil en France.

Nous sommes par exemple en contact régulier avec H., afghan expulsé d’Autriche après 4 ans de présence. Accueilli durablement à Strasbourg par une personne qu’il aide pour son ménage, son jardin, sa cuisine, il rejoint des associations locales pour jouer de la musique et randonner dans les Vosges voisines. Très vite il apprend le français, sa 5ème langue étrangère.
L’OFPRA lui accorde le statut de réfugié, sa femme réfugiée avec lui en Iran avant son départ en Europe peut alors le rejoindre en novembre 2023 après 7 ans de séparation.
Nous les avons accueillis le mois dernier lors d’un passage à Paris, c’était un vrai bonheur de les voir ainsi réunis, fiers de nous montrer les photos de leur appartement dans la banlieue de Strasbourg, où les tapis persans tenaient une belle place.

Nous suivons aussi A., ivoirien menacé de mort par ses demi-frères pour une question d’héritage. Arrivé en Sicile en 2017 à 14 ans, l’Italie rejette sa demande d’asile. Il arrive alors en France en mai 2021 mais est renvoyé en Italie sans étudier sa demande d’asile. Il revient en France, y refait une demande acceptée cette fois. L’OFPRA l’interroge en mars 2023, mais rejette sa demande en septembre. Il fait appel de cette décision devant la CNDA et est convoqué le 27 février 2024, près de 7 ans après son arrivée en Sicile, près de 4 ans après sa première demande d’asile en France.
C’est un garçon auquel nous sommes maintenant très attachés, il parle parfaitement français, lit et écrit difficilement, mais très débrouillard il est tout à fait prêt à se former et s’intégrer. Il est aujourd’hui désespéré et amer quant à l’inhumanité de l’accueil des autorités françaises qui ont mis tant de temps pour étudier sa demande d’asile, sans reconnaître son sérieux et sa volonté de s’établir durablement.

Françoise et François M.

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Jrs Logoh France

À notre tour d’être accueillis

Les mots qui nous viennent spontanément à l’esprit, quand nous repensons à l’accueil à la maison de jeunes demandeurs d’asile et à leur accompagnement, sont les mots :

Ténacité

Même si le chemin pour trouver leur place en France est une course d’obstacles longue et difficile, ils veulent devenir français. Leur avenir est ici. Rien ne leur fera remettre en cause leur choix.
Connaissant tout ce qu’ils ont déjà surmonté, nous les accueillons pour les écouter, les aider à prendre conscience des fausses pistes, à passer du rêve à la réalité compte tenu notamment la situation économique.

Deux exemples :

  • Faïz, afghan, a tout fait pour passer avec succès son permis poids lourds et a trouvé du travail dans ce secteur.
  • Homa, encore adolescente, voulait absolument être expert-comptable. Depuis elle suit avec succès une formation en comptabilité, consciente qu’elle sera très longue.

Quand nous les revoyons des mois après, ils ont avancé et sont passés à l’étape suivante : renouveler leurs papiers.

Réciprocité

  • Nous avons hébergé Bestun, kurde iranien dont le père a été tué sous ses yeux à 18 ans, expulsé successivement de Suède, d’Allemagne puis d’Afrique du Sud. Arrivé en France, il a passé trois mois dans les couloirs de l’aéroport de Roissy. Enfin une porte s’ouvre : la Croix Rouge qui le met en contact avec JRS et nous sommes sa première famille d’accueil. Dix ans plus tard, nous continuons à le voir, lui prêtons notre maison à la montagne. Il y vient avec des amis : à son tour il pratique l’hospitalité et nous donne même une leçon : il a invité nos voisins à un méchoui ! C’est lui qui ouvre notre porte et les voisins (qui étaient pourtant défavorables aux immigrés) en reparlent encore !
  • Entre le moment où Shakour est extradé d’Afghanistan grâce aux militaires français et le jour où il retrouve sa femme et leurs 3 enfants dont un tout-petit, il s’est écoulé 2 ans et 3 mois, sans savoir quand – et si – ils se retrouveraient. Un an après, Shakour nous invite à fêter leur premier anniversaire à Paris et leur dix ans de mariage : table magnifiquement décorée, menu afghan délicieux. À notre tour d’être accueillis. Les enfants vont à l’école et à la crèche, les parents à des cours de français et stages. Les plus mauvais jours sont loin et même si la route est encore longue avant de trouver un travail et un logement à eux, la vie doit être ponctuée de rites qui seront autant de repères dans les moments difficiles.

J-F et M-O B-B

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