Loin des clichés médiatiques et de la division classique entre conservateurs et progressistes, le pape François a imposé un style — fait de miséricorde, d’ouverture et de synodalité — qui bouleverse les codes établis. Une révolution inachevée, mais irréversible.
Ce fut d’abord la surprise. Un pape venu de « la fin du monde », réservé et austère, s’adressait à la foule romaine et aux fidèles du monde entier par un simple « bonsoir ! ». Et puis ce geste ancien et oublié, cette consécration populaire redevenue signifiante : l’évêque de Rome qui demandait la bénédiction de son peuple, avant de bénir, lui-même, la ville et le monde. C’était le commencement de la révolution. Oui, révolution, malgré les distinguos et les arguties de quelques analystes improvisés.
L’herméneutique de la continuité, qu’il s’agisse des conciles ou de la papauté, est toujours plus rassurante, mais elle est souvent fausse. François – dit-on – n’est pas allé assez loin dans ses changements, il s’est arrêté au milieu du gué, concernant les divorcés remariés, la bénédiction des couples homosexuels, l’ordination diaconale pour les femmes. Et, chose encore plus inexplicable, au sujet de l’obligation du célibat pour les prêtres, tradition de l’Église latine sans véritable justification théologique (comme l’atteste, par contraste, l’histoire des chrétiens d’Orient). On pourrait y ajouter la réforme incomplète et brouillonne de la curie romaine, le formalisme de certaines déclarations du dicastère de la Doctrine de la foi et un exercice par trop solitaire du pouvoir. Mais il reste l’essentiel, après avoir balayé à son encontre les accusations ridicules de populisme et de « péronisme » (et sa prétendue incompréhension de l’histoire européenne). Et l’essentiel, c’est le style, ce que les superficiels confondent avec l’apparence, alors qu’il concerne ce qu’il y a de plus profond en l’homme, « une manière d’être au monde », disait Maurice Merleau-Ponty.
En ce sens, le style est la catégorie théologique qui illustre la vérité et la crédibilité du témoignage chrétien : non pas dans la pompe des habits ou de somptueuses liturgies, non pas dans les salles feutrées d’un musée ou d’une magnifique bibliothèque, mais dans l’hôpital de campagne, auprès des plus vulnérables,
dans l’accueil des migrants, dans les luttes des mouvements populaires
et dans les actions pour la sauvegarde de la planète.
Mais le style c’est aussi la synodalité dans l’Église, qui passe par les mille chantiers ouverts (François préférait la parole « processus ») et la fin du rejet et de la condamnation automatique de toute parole dissonante. Car au centre de la révolution du pape venu de la fin du monde il y a l’abolition de la « douane » : « Todos ! Todos ! Todos ! », a-t-il crié à Lisbonne lors de la dernière Journée Mondiale de la Jeunesse. À la pesanteur des barrières morales, des « principes non négociables », succède le fardeau léger promis par Jésus à ses disciples, la liberté et la créativité des chrétiens. Prisonnière plus qu’elle ne le croyait des carcans d’un juridisme conservateur et mortifère, l’Église redécouvre ainsi la Magna carta de l’Évangile, sa véritable boussole. Église du seuil, église ouverte, dont le maître mot est « miséricorde », ce même mot inscrit dans la devise du pape argentin : « Misericordiando atque eligendo », « Il l’a regardé avec miséricorde et l’a choisi »,expression tirée d’un commentaire de Bède le Vénérable (VIIe siècle) au sujet de l’évangéliste Matthieu.
Révolution inaccomplie que celle de François ? Oui, mais dans le sens du semeur, « sorti pour semer », mais qui ne voit pas toujours de son vivant les fruits de la Parole qu’il a proclamée et des gestes qu’il a accomplis, car « l’un sème, l’autre moissonne » (Jean 4,37). Révolution en devenir et que l’on n’arrêtera pas, car l’Esprit souffle où il veut et il ne connaît pas de droits de douane.
Merci.
Je vous invite aussi à prendre connaissance de discussions à ce sujet dans le journal Réforme.
Bonne journée,
Thomas Lecompte
Merci Pietro et oui, François a ouvert des “chantiers” qu’il nous appartient, avec la grâce de l’Esprit Saint, de consolider et d’enrichir. Dans la foi confiante, prions que ce vent se poursuive !