Dieu est la Vie et l’Amour. Jésus nous l’a fait connaitre par ses enseignements et par ses implications lors de sa vie « publique », la seule période de sa vie qu’il nous a été donnée de découvrir. Pour concrétiser cette affirmation, Dieu Père a rendu la vie alors au corps mort de Jésus, un corps de chair dont on ne sait ce qu’il est devenu.
En tout cas, selon les Évangiles, ce corps a été visible pour ceux à qui Il est apparu, mais Jésus était manifestement autre, tout en étant le même. Pour ces disciples d’alors, Dieu, dans son fils Jésus, manifeste ainsi qu’Il est la Vie qui dure, une vie qui s’affranchit des destructions causées par les hommes, d’une part celle des Romains envahisseurs de la nation juive, d’autre part celle des « chefs du peuple » que sont les grands-prêtres en charge d’accompagner le peuple à la rencontre de son Dieu, qui est aussi son ciment ; ils sont devenus des collaborateurs de Rome, et donc des traîtres au peuple et à Dieu. C’est dans cet imbroglio que Dieu manifeste la continuité de la Vie, en la personne du Ressuscité, et dans celle des disciples, témoins, devenus acteurs infatigables pour divulguer son message. Pour en arriver là, il a fallu passer par la condamnation de Jésus et sa mise à mort comme trublion, à la fois de l’ordre civil sous la coupe de Rome, et de l’ordre religieux institutionnel.
Alors comment, en tant que chrétiens, vivons-nous « la passion » de Jésus ? Plusieurs regards émergent, celui inspiré par l’Ancien Testament, celui issu de notre empathie pour rejoindre Jésus-Christ ou encore celui du militant de la Vie et de la construction d’une société juste et harmonieuse.

Tout d’abord, le regard qui se focalise sur la prédiction de prophètes de l’Ancien Testament. Celle-ci annonce à plusieurs reprises la venue d’un messie, homme issu de la lignée de David, qui instaurera la paix et le bonheur sur terre, par le rétablissement supposé du peuple juif sur sa terre (« un roi victorieux »). Mais il annonce aussi un messie souffrant chez Isaïe, une mort expiatoire pour les péchés du peuple d’Israël.
Suite à l’échec apparent de sa mission, les « suiveurs » de Jésus (premiers apôtres, premiers disciples, premiers adhérents), juifs et bons connaisseurs de l’Ancien Testament, reliront la vie de Jésus, sa mort notamment, comme accomplissement de ces annonces. Pouvaient-ils prendre distance avec leur culture juive, dont ils sont pétris ? Certainement pas. Jésus est alors l’agneau de Dieu sacrifié pour nos péchés, comme l’étaient les animaux offerts en sacrifices au temple par les grands prêtres, pour demander à Dieu le pardon pour l’éloignement du peuple. Sa mort serait la conséquence de l’obéissance à Dieu son Père. Jésus prendrait alors la place du grand-prêtre, pour intercéder auprès de Dieu pour notre salut, un regard que notre Église a développé et que beaucoup de chrétiens ont adopté. Mais n’oublie-t-on pas alors le Dieu Père, miséricordieux, que Jésus a voulu nous faire connaitre, auprès de qui Il est notre intermédiaire bienveillant ?
Autre regard, celui de l’empathie devant les rudes souffrances et l’injustice de sa condamnation, devant l’abandon des apôtres et le reniement de la foule des rameaux. Le chrétien cherche à se pénétrer de ce que Jésus ressentait alors ; il tente de mesurer combien cette mise à mort est inacceptable, incompréhensible, pour Celui qui est Fils de Dieu. Il s’agit alors de méditer ce vécu, de tenter d’imiter Son comportement, une certaine exaltation de la souffrance ! L’ascèse est nécessaire pour tenter de le rejoindre. Combien d’œuvres d’artistes peintres, sculpteurs, musiciens, mais aussi de mystiques, de théologiens, de clercs nous ont accompagnés dans cette contemplation ! Une empathie qui conduit quelques fois à un certain excès dans les représentations baroques et les processions de communautés de culture latine.
Dernier regard (avant d’autres que je n’ai pas perçus), celui d’un Jésus qui accomplit jusqu’au bout ce qu’il croit essentiel de dire et vivre. Dire l’amour du Père aux juifs ses contemporains, un regard aussi amorcé dans l’ancien testament, et proposé parmi d’autres lectures à son époque (voir les nombreux « prophètes » et courants religieux d’alors). Une interprétation lumineuse pour les foules nombreuses qui le suivaient au fil de ses enseignements. Défier l’ordre établi (même si ce n’était pas sa volonté), le remettre en cause, poussé par le lien intense d’amour qu’il entretient avec le Père, ne pouvait que conduire à sa condamnation et, à cette époque, à sa mort. Mais Jésus ne se dérobe pas, comme tant et tant de combattants pour la Vie à travers notre histoire, notamment contemporaine. Un combat inéluctable pour la justice, pour la paix, pour une société en recherche d’accomplissement. Ces militants sont si nombreux, si différents et ce dans un grand nombre de cultures, mais si unis par une même inspiration. Ne sont-ils pas ceux qui partagent au plus près la passion de Jésus, souvent sans le savoir, et savent le mieux les promesses de l’accomplissement ? De fait, ils ont la conviction que leur « sacrifice » ne passera pas et sera porteur de fruits. Une approche universelle, parce que la passion et la résurrection du Christ sont proposées comme sens de la vie aux chrétiens comme aux non-chrétiens, l’accomplissement de tout croyant, religieux ou non, en l’amour et la justice.

Trois regards en quelque sorte : un regard religieux pour comprendre ; un regard personnel pour « imiter », faire un avec Jésus ; un regard sociétal où l’implication pour les autres, dans la recherche de justice, traduit sa foi en l’homme.
Et pour terminer ce propos, un retour au sens de la pâque juive, le démarrage d’un nouveau périple, la mise en route pour un chemin inconnu ; n’est-ce pas aussi ce chemin à inventer aujourd’hui, éclairé par le sens de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ ?