
La simplicité, la clarté, la profondeur du style adopté par cet ouvrage (Anne-Marie Pelletier, Vivre au risque de l’autre – La Bible contre l’identitarisme, Desclée de Brouwer, 2025) permettent aux lecteurs de se savoir plus intelligents lorsqu’ils osent ouvrir la Bible. Elle-même accueillie comme une découverte, non comme l’exposé d’une doctrine qui assurerait le bonheur éternel. Plutôt comme une balade accompagnée, joyeuse et sérieuse dans la complexité de l’humanité. Sans faire l’économie d’un message enraciné dans l’histoire et proposé à tous : « Élargis l’espace de ta tente » (Is 54, 2). Accueillir : tel est le secret d’une vie pleine. C’est aussi un cri bienvenu, dans nos sociétés qui se « méfient » de l’autre. Ce livre nous fait découvrir, en profondeur et très heureusement, les racines bibliques de l’hospitalité, défi majeur pour aujourd’hui.
Le retour des frontières agressives
Le message du prophète Isaïe est plutôt bienvenu en des temps de sécularisation morose, du règne de l’autonomie de l’individu, lui-même tiraillé par une faim de sens et « d’ailleurs ».
Dès son début, le livre Vivre au risque de l’autre plante un décor bien reconnaissable, encore aujourd’hui : des peuples et des individus saoulés et effrayés par une mondialisation interdépendante. Ils se replient sur l’identitarisme, et se « frontiérisent » au point de rejeter l’autre. Des réactions identiques se perçoivent clairement dans des communautés chrétiennes contemporaines.
Il convient de commencer par le commencement … du monde : les divers épisodes décrivant la création sont présentés comme les gestes d’un Dieu qui, dès le départ, tient à faire « à l’autre, toute sa place ». Au commencement est la différence. Un Je-Tu, un dialogue dans lequel « Dieu parle homme aux hommes, un Dieu qui, à travers les nuits d’une humanité peu docile, prend le « risque de l’autre » ; car il « Est » lui-même, relation. Il se révélera, Trinité.

1130 à 1150, Chapelle Palatine, Palerme
Le créateur trouve que cela est « très bon ». Ce message « positif » est rassurant et bienvenu pour accueillir « l’aujourd’hui » de la rencontre. Au départ de notre histoire, il n’y a pas la faute ni le péché, mais la joie, le « bon » et une soif de relations : un bon début pour parler d’amour. Dieu paraît souvent déçu, voire furieux, mais il est et reste celui qui propose avant tout une présence, une alliance, avec tous. La Bible, le livre de tous. Tous « bénis », reconnus bons, par la satisfaction du créateur, le septième jour. Bien sûr, la suite relationnelle se révèle plus compliquée : les individus et les peuples se combattent, s’accueillent et se combattent à nouveau, se déchirent, se déshumanisent.
La force vitale de la différenciation
Anne-Marie Pelletier développe l’épisode de la Tour de Babel. Par ce projet de construction titanesque, les hommes prétendent non seulement rivaliser avec les cieux, mais surtout supprimer toute différence entre eux. Cela ne plaît pas du tout à Celui qui sait que seule la diversité permet la relation et donc la vie commune. La réponse de Dieu paraît alors comme un geste davantage de sauvetage que de punition de l’humanité. Il convient de ré-ouvrir le groupe humain.

Sainte-Marie-Majeure, Rome
Un tel objectif divin ne ressemble pas à un long fleuve tranquille. Le patriarche Jonas en perd même son latin devant un Dieu qui prétend accueillir, sauver, la ville de Ninive, païenne, pourtant prête à se convertir. L’autre, les autres, même très « étranges », semblent retenir en priorité l’attention divine.
Ainsi lorsque Abraham est invité, au chêne de Mambré, à accueillir des « hôtes de passage ». Ou lorsque le texte biblique fait la part belle à Ruth, une étrangère, qui se met totalement au service du peuple d’Israël. Les récits souvent guerriers de la conquête de la terre promise par les israélites, soulignent non seulement les difficultés de l’accueil de l’autre, mais aussi son absolue nécessité pour créer un avenir durable. « L’histoire d’Israël est insérée dans l’universel », dans la nouvelle Jérusalem, maison d’Israël, certes, mais ouverte à tous les peuples.
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