Afin de lever les préjugés sur les relations entre les mondes chrétien et musulman, le Groupe d’Amitié Islamo-Chrétienne (GAIC) a initié une vaste étude sur les figures historiques du dialogue islamo-chrétien.
L’objet de cette étude est de montrer que dans l’histoire mondiale, chrétiens et musulmans ne se sont pas toujours opposés et que des terrains d’entente ont souvent existé. Partout, des hommes et des femmes de bonne volonté ont œuvré (et œuvrent encore) pour une meilleure compréhension entre ces grandes religions et civilisations.
Le GAIC s’est donné pour défi de rassembler des éléments historiques – vérifiés et vérifiables, – susceptibles d’amener les personnes hostiles au dialogue interculturel, ou plus souvent dubitatives, à reconnaître les réalités de ce dialogue et d’en saisir les bienfaits spirituels et existentiels ; en somme de les convaincre, par la vertu de l’exemple, que ce qui a pu se faire dans le passé doit pouvoir se faire aujourd’hui et demain, pour le bien de toute l’humanité.
Avec le concours d’historiens, de passionnés d’histoire, de personnes pratiquant au quotidien le dialogue interreligieux ou simplement convaincues de l’utilité de la démarche, nous avons dressé un premier inventaire – évolutif – des personnalités, institutions ou communautés ayant œuvré, chacune à sa façon, à ce dialogue dans les domaines politique, socio-économique, culturel, scientifique, religieux, etc.
Au-delà des noms les plus connus, nous faisons émerger des figures historiques plus discrètes voire oubliées, mais tout aussi méritantes dans la conceptualisation et la pratique de ce dialogue. Ensuite viendra l’approfondissement des recherches sur les figures retenues et la publication des résultats à des fins mémorielles et pédagogiques.
2022 : les premières rencontres de la mémoire
Parmi les noms les plus connus du dialogue islamo-chrétien, on trouve : la péninsule ibérique d’Al-Andalus (VIIIe-XVe s.), François d’Assise et le sultan d’Égypte Malik al-Kamil (XIIe s.), l’émir Abd-el Kader (XIXe s.), le père Charles de Foucauld et Louis Massignon (XIXe-XXe s.), Christian de Chergé et Pierre Claverie (XXe s), etc. Ces incontournables auront bien sûr une place de choix dans l’étude. Cependant, pour les premières rencontres publiques, nous avons mis l’accent sur des personnages, des lieux et des temps moins connus.
Le 4 février 2022 au Forum 104 à Paris, une conférence a mis à l’honneur la Sicile arabo-normande (XIe-XIIIe s.), le théologien Nicolas de Cues (XVe s.), le voyageur anglais Edward Brown (XVIIe s.), le saint-simonien Ismaël Urbain et le soufi Tierno Bokar (XIXe s.), le théologien pakistanais Muhammad Hamiduallah, l’érudit anglais Martin Lings et l’écrivain franco-afghan Najm Oud-din Bammate (XXe s.).
Le 20 novembre à l’institut culturel Al-Andalus de Châtenay-Malabry, qui œuvre pour le dialogue et le rapprochement des cultures, le programme « Témoignages d’amitié islamo-chrétienne depuis le Moyen-Âge » s’est concentré sur la Sicile arabo-normande, Edward Brown, Ismaël Urbain, Nicolas de Cues et Abd-el Kader.
Je ne parlerai ici que des trois premiers acteurs, dont j’avais la charge.
La Sicile arabo-normande, un « âge d’or » brisé par l’intolérance
D’abord sous administration musulmane (827-1061), la Sicile est passée sous domination normande (1061-1300) dans une remarquable continuité qui fit la réputation de cette expérience singulière de l’histoire européenne.
En Sicile, la période arabo-musulmane – règne des émirs arabes – fut associée à la prospérité économique, scientifique et artistique, et à la coexistence harmonieuse entre les cultures et les religions. Et si l’héritage des émirs arabes y fut si durable, on le doit à sa préservation et même à son amplification par leurs successeurs, les rois normands.
Cependant cette société multiculturelle et tolérante, mal vue des royaumes chrétiens en ce temps de croisades, prit fin brutalement en 1300, à l’initiative du pape Boniface VIII. Les musulmans furent massacrés ou expulsés de Sicile et d’Italie du Sud.
On notera que les expériences andalouse et sicilienne se sont faites à fronts inversés : en Andalousie, un pouvoir musulman organisait les relations avec les minorités juive et chrétienne ; en Sicile, un pouvoir chrétien composait avec les minorités byzantine et musulmane. C’est bien la preuve qu’il y eut dans l’histoire, des deux côtés, de réelles possibilités d’ententes politiques et de dialogue interculturel.
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Edward Brown, l’esprit d’ouverture
Au XVIe siècle, l’engouement de nombreux Européens pour l’Empire ottoman s’explique par la volonté de mieux connaître l’ennemi musulman mais aussi par le désir de s’émanciper d’un discours religieux devenu oppressant. Les récits de voyage vont apporter une respiration à la culture européenne. Si, le plus souvent, les voyageurs européens, pétris de culture chrétienne, abordent l’Orient avec des préjugés antimusulmans, au retour en revanche ils publient des textes globalement favorables à la civilisation arabo-musulmane. La découverte du pays et des habitants a en effet conduit beaucoup d’entre eux à modifier leurs points de vue initiaux.
Ainsi le commerçant anglais Edward Brown, qui parcourt l’Egypte en 1673, tente de comparer loyalement deux modes de vie et de pensée différents. Sa capacité d’écoute lui attire les confidences de ses interlocuteurs musulmans sur leur perception des Européens. Ces échanges le convainquent de la possibilité d’une meilleure compréhension entre deux sociétés non pas foncièrement hostiles mais qui simplement n’ont pas les mêmes préoccupations existentielles. La prétention européenne à la supériorité morale en est sérieusement ébranlée.
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Ismaël Urbain le visionnaire
D’origine créole, Thomas Urbain (1812-1884) devient Ismaïl Urbain après sa conversion à l’islam en Egypte. Sans renier son christianisme, il veut accomplir un geste de rédemption contre le crime d’esclavage et réhabiliter les Noirs.
Participant à la conquête de l’Algérie « non comme guerrier mais comme bon interprète », Ismaël Urbain n’aura de cesse de défendre la population algérienne contre les exactions de la colonisation française et les préjugés sur les musulmans prétendument « fanatiques ». Sa sympathie pour eux et ses écrits – dont en 1856 De la tolérance dans l’islamisme (islamisme signifiant alors islam), un texte courageux pour l’époque… et même pour aujourd’hui– lui attirent la haine du parti « coloniste » qui le contraint à quitter l’Algérie.
La méthode d’Ismaël Urbain pour balayer l’accusation d’un islam par essence « fanatique » repose sur une analyse scrupuleuse des textes coraniques et des preuves historiques.
En conclusion, il recommande de ne pas laisser les théologiens des deux bords dominer les débats – ce qui conduit inévitablement à l’intolérance et à l’exclusivisme – et de se placer sur le terrain de la civilisation, dans le respect des différences, afin d’aboutir à l’unité dans la diversité.
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