Michel Deheunynck, prêtre retraité du diocèse de Saint-Denis et membre de Saint-Merry Hors-les-Murs, a bien voulu nous permettre de partager sur ce site quelques-unes de ses homélies, dont vous pouvez retrouver l’intégralité publiées sous le titre La périphérie : un boulevard pour l’Évangile aux éditions du Temps Présent (et dont il reste des exemplaires disponibles à la vente chez l’éditeur).
Il commente ici Mt 15, 21-28 (vingtième dimanche ordinaire, année A).
Dans I’Évangile, Jésus doit souvent faire face à des groupes constitués : les notables qui tentent de lui tenir tête. Mais Jésus, lui, il vibre surtout avec celles et ceux qui ne sont pas institués, des sous-groupes en quelque sorte : les sans métier, les sans famille, les sans le sou, les sans histoire, les sans religion, les sans culture, les sans foi ni loi ; toutes celles et ceux qui sont du monde des perdus : les fameuses « brebis perdues » à qui il se dit avoir été envoyé.
Dans cet épisode, il avait dû faire un détour et le voilà face à cette femme du pays qu’il traverse, une étrangère pour lui, et qui se met à crier. Et il se demande d’abord si elle fait bien partie de ses « priorités », cette femme dont on ne sait même pas le nom. Et il va d’abord être plutôt dur et blessant avec elle. Et cette femme va lui répondre d’une façon émouvante de simplicité : eh bien oui, moi aussi, je suis une marginale qui doit se contenter du « reste » des autres. Et voilà que Jésus est touché. Il est atteint par cette femme.
D’habitude, face aux pharisiens, c’est lui qui marque des points. Mais là, il vient de s’en faire marquer un ! Il vient de se faire convertir, lui, Jésus ! « C’est vrai, c’est bien toi qui as raison. Tu as raison parce que tu crois, tu crois… en toi, à ce que tu dis. » Jésus se fait convertir par cette païenne. Cette païenne qui lui fait franchir une nouvelle frontière, une frontière intérieure celle-là. Cette païenne qui lui ouvre les yeux et lui fait prendre conscience que Dieu n’est pas réservé à certains.
Et nous, comment nous laissons-nous convertir
par celles et ceux qui sont différents,
celles et ceux qui croient autrement ?
La foi, bien avant d’être un credo ou une adhésion à des croyances codifiées, c’est cette rencontre avec Jésus dans chacune de nos vies, ce Jésus qui ne demande qu’à être converti par cette foi que nous, nous avons en cette vie. Jésus converti par nous, c’est le monde à l’envers ! Jésus appelé par cette Cananéenne à revoir sa copie, ses priorités, ses « valeurs » comme diraient certains bien-pensants donneurs de leçons aujourd’hui.
Bien sûr, on sait que les priorités de Jésus ne vont pas vers les puissants, les profiteurs, ceux qui pensent gager des points de bonne conduite, des médailles de bons cathos, en jetant avec condescendance, qu’ils appellent « charité », un peu de leurs restes, de leurs miettes aux plus fragilisés. Mais les priorités de Jésus, elles ne vont pas non plus vers ceux qui leur donnent bonne conscience en s’accommodant de cette façon de faire, ceux qui finissent par se contenter des miettes et de ce qu’ils croient être leur destin de perdants.
Les priorités de Jésus, elles vont plutôt vers ceux qui lui expriment leur indignation et leur volonté de justice, de partage, de solidarité, comme le fait cette femme de I’Évangile.
Et si c’était ça, la foi ? La vivre, la dire et la célébrer comme nous le faisons ce matin. En tout cas, Jésus n’est pas resté insensible à cette façon d’en témoigner. Grâce à cette païenne de Cananéenne !
Nous avons toutes et tous vocation à être des convertisseurs, des émancipateurs pour que chacune et chacun reconquière fièrement toute sa dignité dès que cette dignité est atteinte, quelles que soient ses différences culturelles ou spirituelles. Jésus saura toujours se laisser convertir, lui qui n’est pas là que pour les brebis perdues de son camp qui manquent dans ses rangs, mais pour toutes les brebis perdues. Alors, merci à cette femme, étrangère à la religion, d’avoir osé le lui rappeler. À sa façon à elle, elle y croyait ; à sa façon à elle, elle a osé.
Alors, nous aussi, croyons, et nous aussi, osons !
Michel Deheunynck