« Une fois n’est pas coutume. Afin d’enrichir notre méditation et nos propositions relatives au Synode sur la famille, je vous invite à vous saisir de ces quelques extraits d’un texte de Martin Luther sur le mariage ». D’Alain Cabantous. Chronique du 3 mars 2015
Nous vous proposons les articles de cette chronique effacés de notre ancien site par décision de l’archevêque de Paris.
Rédigé en 1520, La captivité babylonienne de l’Église-Prélude, est consacré aux sept sacrements et, par sa radicalité analytique, marque la rupture théologique définitive du réformé avec Rome. Cette approche pastorale et exégétique de chacun des sacrements reste étonnamment moderne dans ses critiques, ses interrogations et ses ouvertures, toujours établies à la lumière des Écritures mais soucieuses de l’humain. Elle dénonce en effet l’appréhension magique de la pratique sacramentelle et les interprétations erronées qui ont fini par imposer aux croyants une oppression souvent intenable face au réel. On ne doit donc pas s’étonner que quelques décennies plus tard, le concile de Trente (1545-1563), essentiellement anti-luthérien, ait tant insisté sur la sacramentalité du mariage…..
Aucun texte de l’Écriture ne permet de considérer le mariage comme un sacrement.
Non seulement cela mais les traditions mêmes qui ont la prétention de l’exalter ainsi
le réduisent en réalité à une pure moquerie. Nous allons nous occuper de cela […]
Il n’est dit nulle part qui quiconque prend femme reçoive quelque grâce de Dieu. On ne lit nulle part que Dieu ait conféré au mariage quelque signification spirituelle bien que tout se qui se fait de visible puisse être compris comme une figure et une allégorie des choses invisibles. Mais une figure ou une allégorie ne sont pas des sacrements. En outre, comme le mariage a existé chez les infidèles dès le commencement du monde et qu’il y persiste encore aujourd’hui, il ne peut être défini comme un sacrement de la nouvelle loi et de la seule Église. Les mariages des infidèles ne sont pas moins vrais que ceux des fidèles et pourtant ils n’y voient aucun sacrement ; (faut-il) mettre en avant l’Apôtre (Éphésiens 5-32) « les deux ne seront qu’une seule chair, c’est là un grand sacrement » ? Ne t’opposes-tu donc pas à la Parole si évidente de l’Apôtre ? Je réponds que cet argument part, lui aussi, d’une grande nonchalance et d’une lecture négligente et inconsidérée. Partout l’Écriture désigne par sacrement non le signe d’une chose sainte mais la chose sainte, secrète et cachée elle-même. Car là où nous avons sacrement, on se sert en grec du terme mystère. Ils eussent agi différemment s’ils avaient lu mystère conformément au texte grec. C’est ainsi que l’Apôtre (1 Timothée 3) appelle le Christ lui même sacrement.
C’est donc bien l’ignorance tant des choses que des termes qui les a trompés. Ils ne se sont attachés qu’au son des mots pour ne pas dire à leurs seules opinions […] Ils ont transformé ce sens en leurs rêves propres, faisant n’importe quoi de n’importe quoi.
Ainsi le Christ et l’Église sont un mystère, ce qui signifie qu’il y a là une chose secrète et grande qui pouvait et qui devait assurément être figurée par le mariage comme une allégorie tangible sans qu’il résulte de là que le mariage doive être qualifié de sacrement.
[…] Parmi d’infinies monstruosités dont il pense entretenir les confesseurs, sont comptés les empêchements du mariage. Qu’est-ce que défendre le mariage si ce n’est pas le défendre que d’imaginer tant d’empêchements et de dresser tant d’embûches pour qu’on ne s’unisse pas ou, dans le cas où l’on est déjà uni, de dissoudre les mariages ? Qui a donné ce pouvoir aux hommes ? Admettons qu’ils soient animés d’un zèle saint et pieux. Mais pourquoi donc la sainteté d’autrui blesserait-elle ma liberté ? Pourquoi le zèle d’autrui réduit-il en captivité ? En fait d’empêchement, il n’y a rien qui aujourd’hui ne puisse devenir légitime si Mammon se met de la partie au point que ces lois faites par les hommes ne semblent avoir vu le jour que pour servir de pièges et de filets à ces hommes avares ;
Si le principe « que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni » demeure, faisant de cette union de droit divin, l’homme n’a pas reçu le droit de promulguer de telles lois et la liberté que le Christ a donnée aux chrétiens est au-dessus de toutes les lois humaines. Doit donc disparaître cette rigueur des empêchements déduits des liens spirituels, de la parenté légale et de la consanguinité […]
L’empêchement de l’ordre est aussi une pure invention des hommes. Pour moi, je ne juge pas de l’ordre sacerdotal tel qu’il est aujourd’hui mais je vois que Paul ordonna que l’évêque soit le mari d’une seule femme (1 Timothée 3, 2). Pour cette raison le mariage d’un diacre, d’un prêtre, d’un évêque ou d’un membre de quelque ordre que ce soit ne peut être annulé. Que périssent donc ces traditions humaines maudites qui n’ont pénétré dans l’Église que pour multiplier les dangers, les péchés et les maux. Le mariage d’un prêtre et de sa femme est donc mariage véritable et indissoluble approuvé par les commandements divins […]
Une question se pose aussi au sujet du divorce. Est-il permis ? Quant à moi, à la vérité, je déteste le divorce au point de lui préférer si possible la bigamie (en cas d’impuissance du mari et avec son accord, que la femme s’unisse à un autre par un mariage secret et que les enfants soient imputés au père putatif). Mais qu’il soit permis ou non, je n’ose en décider. Christ lui-même dit dans Matthieu 5 « Si quelqu’un répudie sa femme sauf pour cas d’inconduite, il la pousse à l’adultère et celui qui épouse une femme répudiée commet l’adultère. » Christ concède donc le divorce au moins en cas d’inconduite. Il s’en suit que le pape se trompe nécessairement toutes les fois qu’il prononce une séparation pour d’autres motifs.
Mais ce qui me surprend davantage, c’est qu’ils contraignent au célibat l’homme qui a été séparé de sa femme et qu’ils ne lui permettent pas d’en épouser une autre. En effet si le Christ concède le divorce lorsque l’inconduite est en cause et qu’il n’impose à personne d’être célibataire, et s’il vaut mieux au gré de Paul que nous nous mariions plutôt que de brûler, il semble bien admettre qu’un tel homme épouse une autre femme à la place de celle qu’il a répudiée. […] Je ne veux pas que quoi que ce soit se décide par la seule autorité du pape et des évêques. Je suspends donc ici mon instrument jusqu’à ce que quelqu’un d’autre, plus entendu, entre avec moi dans le débat.
La captivité babylonienne de l’Église (1520) éd. Genève, Labor et Fides, 2015
le 3 mars 2015