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La pensée chrétienne de la « résurrection »

Comment penser la résurrection ? Après le “Credo de l’Église” et les croyances de l’Orient ancien, troisième apport : il s’agit maintenant d’examiner la pensée chrétienne de la « résurrection » à partir de ce qu’en disent les Évangiles… la chronique de Colette Deremble.

La première pensée chrétienne se développe sur le terreau complexe que nous avons évoqué, à savoir, d’une part, que l’Ancien Testament ne transmet pas aux premiers chrétiens de pensée de l’au-delà, mais que, d’autre part, à l’approche de notre ère, la pensée sémitique est influencée par la pensée iranienne du Jugement dernier, avec une conception binaire, opposant le bien et le mal, qui s’exprime dans la littérature apocalyptique (dont l’Apocalypse biblique n’est qu’une des innombrables versions), et qu’enfin, cette pensée sémitique est influencée par l’anthropologie dualiste grecque, qui oppose l’âme à son enveloppe matérielle qu’est le corps.

Pour entendre la complexité de la pensée chrétienne des origines, il faut distinguer, d’une part, ce qui est dit de la résurrection dans les Évangiles (cet article /3) et une certaine ambivalence du langage de la résurrection (objet du prochain article – épisode 4), et d’autre part, la manière dont les évangélistes ont raconté l’événement de la Résurrection de Jésus (épisode 5), enfin la manière dont Paul parle de la résurrection (épisode 6).

Que lit-on concernant la Résurrection dans les Évangiles ?

La place occupée dans les Évangiles par la notion de résurrection est marginale. On ne la trouve guère que dans la controverse de Jésus avec les Sadducéens (Matthieu 22, 32). Cette controverse reflète les divisions des juifs concernant le sujet : « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Ce Dieu n’est pas le Dieu des morts mais le Dieu des vivants ». L’expression est impressionnante : Jésus évacue le piège que lui tendent ses interlocuteurs qui l’attiraient sur le terrain de la vie après la mort. Cette spéculation n’est pas son problème : le Dieu auquel croit Jésus s’occupe des vivants.

L’Évangile de Jean parle abondamment de la vie éternelle, terme qu’il s’agit de méditer pour ne pas le prendre au pied de la lettre :

1981-5
Jean-François de Troy, Jésus et la Samaritaine, 1742,
Musée des Beaux-Arts de Lyon
  • Au chapitre 3, dans l’entretien avec Nicodème : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a envoyé son Fils pour que tout homme qui croit ne meure pas mais ait la vie éternelle ». L’expression « ne meure pas » est étonnante : évidemment, Jean ne veut pas dire que la foi en Christ nous évite la mort physique et nous rend immortels. Le christianisme ne fait pas l’impasse sur la mort : nous sommes mortels. Nous devons donc comprendre qu’ici, l’expression de « mort » est utilisée de manière métaphorique. La notion de « vie éternelle », que spontanément nous situons chronologiquement après la mort, doit donc être revisitée : peut-être faudrait-il entendre « vie éternelle » comme « vie divine », c’est-à-dire « vie pleine de Dieu » ?
  • Au chapitre 4, lors de l’entretien avec la Samaritaine : « L’eau que je lui donnerai deviendra en lui source d’eau jaillissant en vie éternelle ». Dans ce contexte, il n’est pas question de mort, mais bien de comprendre que celui qui a foi en Christ, a en lui une « vie éternelle », une « vie divine », c’est-à-dire entièrement tournée vers l’amour.
  • Au chapitre 5, après la guérison de l’infirme de Bethesda : « Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé a la vie éternelle ». Le présent revêt une force d’évidence qui confirme ce qui a été dit précédemment. La vie « éternelle » ne se déploie pas dans le futur.
  • Au chapitre 6, dans le discours sur le pain de vie à Capharnaüm (40) « Quiconque voit le Fils et croit en lui a la vie éternelle ». (35) « Je suis le pain de vie. Qui vient à moi n’aura jamais faim » |…] (48) « Vos pères ont mangé la manne au désert et ils sont morts. (51) « Je suis le pain descendu du ciel. Qui mangera de ce pain vivra à jamais, et le pain que moi je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde ».
  • Au chapitre 8, après l’épisode de la femme adultère : (51) « si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort ». À nouveau, nous ne pouvons imaginer que Jean parle ici de la mort physique : il sait bien que nous sommes mortels. Il s’agit donc nécessairement de la mort spirituelle. Mettre en œuvre la parole du Christ, c’est être, aujourd’hui, « vivant » spirituellement, vivant de Dieu.
  • Au chapitre 11 sur la résurrection de Lazare : (25) « Je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais ». Même remarque.
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Duccio di Buoninsegna, La Résurrection de Lazare, (1310–1311), musée d’Art Kimbell, Texas – USA

Dans ces différents passages, l’école johannique nous invite à ne pas situer la question de la résurrection sur le plan d’une vie après une mort physique. On nous demande de reconsidérer ce qu’est la vie, la « vraie » vie, la vie « éternelle », qui est le fait de recevoir Dieu, et la « mort », qui est décrite comme le fait de ne pas croire.

  • Au chapitre 12 : (24) « Si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt, il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » apporte une image à la fois banale mais tellement féconde pour comprendre la résurrection, avec cette idée que mourir c’est porter du fruit.

  • Au chapitre 17, il y a enfin tout le discours d’adieu, avec notamment cette phrase essentielle : « La vie éternelle, c’est de te connaître, toi le seul vrai Dieu » (Jn 17, 3).

La vie « éternelle », Jean ne la situe pas dans l’au-delà de la mort ; il ne la situe pas non plus comme une récompense pour les justes : il opère un retournement radical par rapport à la pensée apocalyptique ambiante quant à ces deux points essentiels. Il opère aussi tout un renversement du sens de la vie et de la mort en montrant qu’il ne faut pas opposer vie et mort physique, mais « vie en Dieu » et « mort spirituelle ». Il y a une vie, qui est pleine de Dieu, vie d’amour, de pardon, de liberté, et, par opposition, une vie de repli sur soi qui est mortifère.

Il retourne aussi notre attitude par rapport à la mort, qui nous accablerait comme une malédiction : « Ma vie, nul ne la prend, mais c’est moi qui la donne ». Même la mort est l’objet d’un don, d’une liberté.

La vie humaine n’est pas une vie en sursis, en attente d’une autre vie, (dans laquelle, finalement, il ne se passerait pas grand chose, à part qu’on vivrait de manière infiniment longue et bienheureuse) : Jésus est venu pour révéler en nous une vie possible en Dieu aujourd’hui, une vie fertile, qui porte « beaucoup de fruit », une « vie en abondance » : c’est cette vie surabondante, aujourd’hui et maintenant, qui est la vie « éternelle », qu’il faudrait plutôt traduire par vie infiniment belle, vie divine.


En relisant l’Évangile de Jean, on entend cette mise en demeure de contribuer à faire advenir cette vie divine aujourd’hui. La vie éternelle se vit non pas dans la passivité d’une récompense espérée après la mort, mais dans la dynamique actuelle d’une tension “pour” et “en Dieu“. Ce n’est pas la mort physique qui dessine le clivage faisant passer à la résurrection : c’est la foi. Il nous est demandé de croire que c’est l’amour total qui donne la vraie vie. Dernier constat : l’écart est grand entre ce qu’on lit dans l’Évangile et la formulation du Credo de l’Église, qui semble finalement beaucoup plus proche des formulations archaïques… et païennes de l’apocalyptique juive.

Vous avez manqué le précédent article sur le sujet ? C’est ICI pour le lire

Et le suivant ? Vous pouvez aussi le lire ICI.

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Colette Deremble

Colette Deremble est agrégée de lettres classiques, licenciée en théologie, docteur en art et archéologie (EHESS, 1989). Chargée de recherches au CNRS (en 1988). Professeur émérite à Paris X (en 1994). Autrice de nombreux livres dont « Jésus selon Matthieu. Héritages et rupture » (avec Jean-Paul Deremble), éditions Lethielleux, 2017.

  1. Bernard FAUCONNIER
    Bernard FAUCONNIER says:

    Merci beaucoup pour toutes ces réflexions.
    Mais il me semble que la clef de voûte de votre réflexion est l’équivalence entre vie éternelle, et vie divine. Mais il me semble qu’il est vraiment difficile de ne pas entendre ce mot “éternelle” qui est celui qui est écrit et non pas “divine” : pourquoi les rédacteurs utiliseraient-ils systématiquement le premier pour signifier le second ?
    Par ailleurs – et vous le citez – le Christ dit “celui qui mangera ce pain vivra à jamais”. Ce qui, tout de même, fait sérieusement penser à une vie qui ne finit pas, plutôt qu’à une vie finie, mais emplie de Dieu.
    Que dire de la résurrection de Jésus lui-même, dont attestent les évangiles, avec force, et pour laquelle plusieurs disciples ont eux-mêmes donné leur vie ?
    Il me semble que l’assimilation éternelle-divine ressemble un peu à un sophisme qui permettait de faire l’économie du grand mystère de la résurrection. Or, il me semble aussi que c’est dans le mystère (ces choses que l’on n’a jamais fini de comprendre et pénétrer), que se trouve une grande partie de la foi chrétienne (que je ne partage pas, mais que j’admire et, je crois, à laquelle j’aspire).
    Penser la vie éternelle comme une vie où il ne se passe pas grand chose me semble aussi un peu étrange et me rappelle les propos de Woody Allen : “l’éternité c’est long, surtout vers la fin”…
    Je pense plutôt la vie éternelle comme une vie hors du temps, de jubilation dans l’amour de Dieu (pour les amoureux, le temps ne s’arrête-t-il pas ?) ; où la jubilation est le résultat d’une tension entre une soif aigüe d’amour et sa satisfaction à l’infini (cf. l’eau-vive du puits de Jacob).
    Vous l’avez compris, j’ai donc grand mal à vous suivre dans vos pensées que je vous remercie encore d’avoir partagées.

  2. Hervé SIMON
    Hervé SIMON says:

    Si je lis bien l’article de Colette Deremble il n’y a que « l’ici et maintenant qui est l‘éternité de la vie ». Donc la résurrection est une éternité déplacée dans un futur dont le Christ ne parlerai pas.
    Un faisceau de convergences explique cette notion inventée. Cette idée est neuve puisque l’Ancien Testament n’imagine pas de vie au-delà de la mort, Seulement la pensée sémitique a été récemment influencée par la pensée iranienne du jugement dernier et l’anthropologie dualiste grecque.

    Je ne comprends pas certaines analyses.
    D’abord pour moi le fait qu’une expérience soit neuve ne la disqualifie en rien mais pourrait être l’expression de la nouveauté permanente de celui qui est inqualifiable.

    Dans le débat avec les Sadducéens…Jésus ne limite pas sa réponse à l’extrait proposé qu’il précède de « Et pour ce qui est de la résurrection… la parole que Dieu vous a dite « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Ce Dieu n’est pas le Dieu des morts mais le Dieu des vivants » implique dans une lecture complète que ces ancêtres cités sont éternellement vivants. Je ne trouve absolument la notion que « le Dieu auquel croit Jésus s’occupe des vivants » impliquant « seulement » et inversant le sens de cette phrase.

    Dans les textes retenus dans la suite de l’article il nous est proposé une explication de l’expression « vie éternelle » réduit cette expression à « la foi en Christ, qui a en lui a une vie éternelle, une vie divine, entièrement tournée vers l’amour.
    S’il fallait réduire cette « vie éternelle » à cette seule expérience présente, pourquoi les évangélistes n’ont pas écrit « a la vie » et se sont crus obligés de préciser « éternelle ».
    Pour moi cette précision ne nous permet pas d’exclure une durée hors du temps que nous connaissons. Certes intellectuellement c’est déroutant mais en quoi notre satisfaction intellectuelle nous permet d’écarter cette perspective et d’affirmer que « La vie « éternelle » ne se déploie pas dans le futur » ?

    Si « Jean ne situe pas La vie « éternelle » dans l’au-delà de la mort ; il ne la situe pas non plus comme une récompense pour les justes : il opère un retournement radical par rapport à la pensée apocalyptique ambiante quant à ces deux points essentiels. » Cela, en effet, permet d’affirmer qu’il ne faut pas attendre la mort pour y participer avec confiance mais que commencée dès à présent cette vie est dite « éternelle » car rien pas même la mort ne l’interrompra.

    Que penser que la phrase du Christ en croix au larron « ce soir même tu seras avec moi en Paradis » ?

    Enfin ce que transmettent les apôtres ce n’est pas un discours intellectuel mais une expérience de vie non fantasmée par ces gens simples. Leur expérience ! Ils ont fui sainement devant la mort de leur ami impliquant même de témoigner de leur lâcheté. Ils ont vu et côtoyé le Christ ressuscité. Cela est de l’ordre du fait. Les mêmes qui avaient sainement fui ont témoigné de ce fait jusqu’à accepter de mourir. On n’a pas l’habitude de mourir pou un fait et une expérience.

    Si la place occupée dans les Évangiles par la notion de résurrection est marginale, c’est peut-être que la narration de cette vie est de montrer d’abord le chemin pour y être introduit.

    Hervé SIMON

  3. blandine vacherot
    blandine vacherot says:

    Un immense merci pour ces textes que je trouve passionnants… j’attends impatiemment la suite !!

  4. Pingback:11 mars 2023 | Synode quotidien

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